L’Orchestre Debout : envoyer valser les codes traditionnels et jouer un nouveau monde

Tandis que la Loi Travail, autour de laquelle s’est cristallisée la contestation sociale au sein de Nuit Debout, s’emploie à casser le Code du travail et que nos représentant.e.s semblent s’évertuer à déconstruire chaque jour un peu plus les espoirs dont nous pouvions encore les investir, l’Orchestre Debout s’érige quant à lui en symbole de la construction possible de lendemains chantants. S’étant déjà réuni à cinq reprises sur la place de la République à Paris, l’Orchestre Debout participe au rayonnement d’une image positive de ce qui se joue depuis le 31 mars à la Nuit Debout et aide à lutter contre les clichés négatifs dont le mouvement a pu faire l’objet. Par ces concerts, l’Orchestre Debout œuvre également à décloisonner la musique et à la faire sortir de ses carcans traditionnels. À la croisée de ces deux dynamiques, il est possible d’avancer que la force de l’Orchestre Debout serait en fait d’incarner un espoir de voir et de faire naître un nouveau monde, musical autant que politique, basé sur l’échange et la « vraie démocratie ».

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Orchestre Debout – Gaelic DR

Faire rayonner une belle image de ce qui se joue à République

Dès ses débuts, la Nuit Debout a fait l’objet d’une presse et de commentaires politiques souvent attachés à la décrédibiliser en véhiculant des préjugés peu flatteurs à son égard – qu’il est inutile de rappeler ici. C’est notamment d’une envie de contrer cette image négative qu’est née l’idée de l’Orchestre Debout. Compte tenu de la couverture médiatique enthousiaste qu’il a rapidement suscitée, on peut considérer que ce pari est aujourd’hui couronné de succès. Au demeurant, inviter la musique sur la place était assez logique. La musique accompagne souvent les contestations et les révolutions, ayant été l’un des instruments voire le biais d’expression privilégié de nombreux mouvements d’émancipation et de révolte (Blues, Jazz). Inviter la musique classique sur la place, en revanche, servait un dessein particulièrement original. Il s’agissait non seulement d’affranchir la Nuit Debout des préjugés négatifs qui pesaient sur elle mais également de transcender ceux dont la musique classique elle-même fait parfois l’objet. En faisant retentir la musique classique hors de ses circuits traditionnels, l’Orchestre Debout participe d’un décloisonnement important et salvateur. Comme le soulignait récemment Anne Dujin sur son blog, « la musique classique a toujours été et reste, en dépit de politiques ambitieuses de démocratisation de l’accès à la culture, un marqueur social et culturel élitiste ». En jouant sur la place de la République, l’Orchestre Debout réconcilie deux mondes qui avaient peut-être tendance à s’ignorer : celui d’une musique classique dont on continue de penser qu’elle n’est accessible qu’à un petit nombre, coincée dans l’ambiance feutrée des conservatoires ou des salles de concert, et celui de la rue, accessible à tous. En réunissant les deux, l’Orchestre Debout crée ainsi la magie d’un « nouveau monde ».

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Orchestre Debout

Réinventer les pratiques de la musique classique

La réconciliation de ces deux univers que semble vouloir jouer l’Orchestre Debout va au-delà de leur rencontre sur la place. Si les concerts de l’Orchestre Debout ont invité la musique classique au sein de la Nuit Debout, ils ont également invité la Nuit Debout et les valeurs qu’elle porte au sein de la musique classique. Auto-organisation, démocratie, horizontalité, parité et collaboration sont autant de maîtres-mots défendus par le mouvement de l’éternel mois de mars et sur lesquels a reposé l’articulation des cinq concerts offerts jusqu’à présent par l’Orchestre Debout, qui ont chaque fois rassemblé entre 100 et 400 musicien.ne.s et choristes. [La première session, le 20 avril, comptait 350 musicien.ne.s ; la seconde session, le 30 avril, 250 musicien.ne.s et 150 choristes ; la troisième session, le 15 mai, 150 musicien.ne.s et 70 choristes ; la quatrième session, le 4 juin, 100 musicien.ne.s et 50 choristes ; la cinquième session, le 3 juillet, 60 musicien.ne.s et 50 choristes]

Certes, les membres de l’Orchestre Debout ne sont pas tou.te.s animé.e.s par un même niveau d’engagement politique, et il a d’ailleurs été rappelé plusieurs fois que l’Orchestre ne se posait pas en porte-voix de la Nuit Debout. Néanmoins, sa pratique musicale vient harmonieusement compléter le message politique de cette dernière. Parmi les innovations mises en pratique dans les concerts de l’Orchestre Debout, l’une des plus belles est peut-être d’avoir su valoriser les talents de chacun, luttant contre l’idée reçue que la musique serait l’apanage d’une petite élite professionnelle. L’aura qui entoure, aux yeux de nombreux.ses commentateur.rice.s, l’Orchestre Debout tient beaucoup au fait que professionnel.le.s et amateur.rice.s y jouent tou.te.s ensemble. Notons que ces concerts interrogent non seulement ce qui se joue politiquement et sociologiquement au sein d’un orchestre, mais aussi ce qui peut être joué par un orchestre. En effet, le répertoire joué par l’Orchestre Debout n’appartient pas seulement au registre « classique », comme l’ont montré ses performances sur « Bella Ciao » ou « Apesar de Você ». Aujourd’hui, celleux qui cherchent à faire retentir ce « rêve en musique » planchent même sur l’idée d’arrangements de musiques contemporaines pour les sessions qui auront lieu à la rentrée. [Le sixième concert devrait avoir lieu le 4 septembre]

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Orchestre Debout Elsa Broclawski DR

Redonner espoir à des générations entières de désillusionné.e.s

À travers sa lutte contre de nombreux clichés et codes traditionnels, l’Orchestre Debout a peut-être finalement vocation à emblématiser un nouveau monde possible, musical autant que politique. Symboliquement et symphoniquement, il participerait ainsi à un combat contre la désillusion rampante d’une partie croissante de la population, dégoûtée de représentant.e.s qui ne les écoutent pas, plombée par un cynisme destructeur de toute réflexion et privée de tout espoir de meilleurs lendemains. À cet égard, on peut invoquer les mots d’Anne-Cécile Robert, qui expliquait dans un article du Monde diplomatique de février que la forte émotion provoquée par les nombreux désastres qui rythment notre quotidien, relayée et alimentée par une surmédiatisation de l’horreur et de la noirceur, est devenue l’ennemie de la réflexion et de l’action. Dans ce contexte apathique et morose, ce que propose l’Orchestre Debout pourrait en définitive être vu comme une réconciliation de l’émotion et de l’action. Ses concerts éveillent et nourrissent une exaltation et une énergie positives qui portent en germe, pour qui veut entendre l’appel, la promesse de notre capacité à agir pour façonner un nouveau monde. Il revient à chacun.e d’écouter la musique, et de décider ou non de réécrire la partition qui nous est proposée aujourd’hui.

Framboise, pour l’Orchestre Debout

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Crédits photos:

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