La démocratie rêvée #6 : « La démocratie pour organiser la solidarité »

Suite de notre essai/feuilleton « Nuit debout, la démocratie rêvée ? » reprenant un essai de Benjamin Sourice initialement publié sur son blog Mediapart, pour mieux comprendre Nuit Debout à la lumière des différents mouvements d’occupation de places en Europe depuis 2011. (Lire l’épisode précédent : « L’assembléisme, la dérive fatale des occupations sans fin« )

Si le peuple peut se convoquer assez difficilement, il semble en revanche plus simple de le dissoudre, d’autant plus en son absence. La dissolution des assemblées centrales en Espagne était, comme nous l’avons vu dans l’épisode précédent, intervenu dans le cadre d’un « appel à reprendre les quartiers », tandis que les détracteurs évoquèrent une forme de passage à la clandestinité du mouvement. Une accusation exagérée puisqu’en Espagne, et espérons le en France, il serait plus juste de parler de décentralisation et de déplacement à la périphérie du mouvement marqué par une seconde phase d’extension par capillarité à l’ensemble du tissu militant et coopératif.

De nombreux secteurs militants étaient auparavant exsangues de trop de trahisons politiques et de guerres fratricides. Suite au 15M,  militants et citoyens, travailleurs et chômeurs ont décidé de s’auto-organiser en partant de leur expérience sur les places. Ils utilisèrent les nouvelles formes d’actions contre les expulsions de logement (stratégie des « Escraches » de la PAH) ainsi que pour réquisitionner collectivement des bâtiments vides. Ils lancèrent une myriade de mouvements de débordement des institutions à travers la dynamique des « marées citoyennes » venues challenger un monde syndical espagnol timoré et décrédibilisé.

Ce fut d’abord la « marea blanca » des blouses blanches du corps médical, puis les autres marées citoyennes, ces manifestations monstres et autogérées qui ponctuèrent la vie politique espagnole jusqu’en 2014. A travers ces mobilisations, l’esprit du 15M demeurait vivant, à l’exemple de la « Marée citoyenne contre les coupes budgétaires et pour une démocratie véritable » qui eu lieu en juin 2013, mobilisa plus de 100.000 personnes et fut organisée par une structure ad-hoc regroupant plus de 300 collectifs.

En Grèce, la solidarité pour « reprendre sa vie en main »

En Grèce, le « Mouvement des places », qui accéléra la fin du Pasok (le PS local) et la démission de Papandreou, fut suivi par le développement spectaculaire d’initiatives autogérées pour assurer une certaine résilience face à l’écroulement des services publics, développer des alternatives au système marchand et autres pépinières pour des projets visant à maintenir la solidarité acquise sur les places.

L’organisation grecque Solidarity for All recense des milliers de structures autonomes dans tout le pays visant à répondre à l’urgence humanitaire d’un pays en faillite autant qu’à « reprendre l’économie et la vie en main » sur le moyen terme. Le politologue Grec Antonis Broumas note également que « le mouvement des places a laissé un héritage de multiples structures organisées selon des principes de démocratie directe, comme des assemblées locales et des centres sociaux, mais il a également libéré de nouvelles forces collectives venues accélérer l’économie sociale et solidaire ainsi que les mouvements de défense et de promotion des communs. »

La nouvelle gauche européenne radicale, comme Podemos et Syriza, a pu s’appuyer cette montée en puissance d’une société civile agissant au plus proche de la population, occupant la totalité du terrain à travers une constellation de réseaux militants, pour conquérir le pouvoir. L’égalitarisme, la dénonciation de la corruption et le niveau de vie des « professionnels de la politique », sont également des thématiques issues des places qui ont influencé structurellement ces nouvelles formations, chacune mettant la transparence de la gestion et la redistribution d’une partie des émoluments de leurs élus au service des alternatives de terrain. En Grèce, les élus et députés de Syriza reversent ainsi 20 % de leur salaire à un fond de solidarité qui alimente des initiatives comme Solidarity for All. Le programme Impulsa de Podemos, également abondé par les « excès de salaire » des élus du parti, finance des projets de création d’entreprises et de soutien à l’emploi.

Ces structures de solidarité, touchant autant à la distribution de nourriture que de soins ou d’activités culturelles participatives, d’abord mises en place pour soutenir les Grecs les plus durement touchés par la crise, servent aujourd’hui à aider les réfugiés venus de Syrie. Des sondages récents menés en Grèce indiquent que plus de 50% de la population a participé à des actions ou fait des dons (financiers ou matériels) à des structures d’aide pour les migrants, dont certaines fonctionnent sur le mode de l’autogestion et la délibération collective, avec implication des réfugiés.

Aujourd’hui encore, cette approche, que les anglophones qualifieraient de « bottom-up » (de bas en haut), reste portée par les dynamiques profondes d’une société civile qui a été capable de construire un nouveau pouvoir au sein même de l’État. La poursuite et le renforcement de cette œuvre de dualisation amorcée sur les places occupées favorisent un esprit de résilience collective et la construction d’alternatives au système libéral à travers un modèle coopératif, collaboratif et non concurrentiel organisé en réseaux non centralisés et autonomes.

Lire la suite, mardi 26 juillet : La démocratie rêvée #7 « Nuit debout, l’occupation de places à la française »

Crédits photos:

  • Greece migrants: Nuit Debout - DR

Benjamin

Auteur, blogueur, agitateur.


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