La presse libre, un outil indispensable pour les luttes ?

Le festival « Semailles de Démocratie », qui s’est tenu les 9 et 10 juillet derniers et réunissait de nombreux intervenants autour de thèmes comme les violences policières, la résistance paysanne, la désobéissance civile (voir notre dernier article), a aussi été l’occasion d’évoquer la presse libre. À l’heure où, en France, comme le confirme une enquête du Monde diplomatique, les grands organes de presse sont aux mains des puissances financières et servent leurs intérêts, Patrick Piro (Politis), Nolwenn Weiler (Bastamag), Alexandre Penasse (Kaïros) et Pierre Thiesset (La Décroissance) sont venus exposer ce qu’était la presse libre (une expression qu’ils préfèrent à celle de presse alternative, souvent péjorative), et son importance dans les les luttes.

Le premier constat est qu’en Belgique, les choses se passent comme en France. Les médias sont concentrés dans les mains de puissants intérêts, et doublement asservis à leurs annonceurs (les marques qui achètent des espaces publicitaires) susceptibles de les affaiblir économiquement en cas de reportage peu flatteur, et à leurs actionnaires ou patrons issus de la finance ou de l’industrie. La censure s’exerce de cette manière depuis un moment : même si le nom de Bolloré est surtout connu des français depuis sa prise de contrôle de Canal + et l’affaire de la censure d’un documentaire sur le Crédit Mutuel, on trouve des traces de son implication dans les médias depuis plusieurs années comme en témoigne cette brève d’Arrêts sur images.

Collage #5-1
Stéphanie Pouech – DR

Acrimed (Action Critique Médias), un observatoire des médias, dresse avec Le Monde diplomatique le bilan des rachats, créations, transactions diverses de ces dernières années :

La presse qui possède quoi
La carte des médias français, produit d’un partenariat entre Acrimed et Le Monde diplomatique

(lien pour le schéma grandeur nature)

Mais que les journaux soient les esclaves de la publicité et des marques n’a rien de nouveau. Non, l’expression qui renverse le point de vue vient d’Alexandre Penasse de Kaïros (le moment opportun, l’occasion divinisée, en grec ancien), lorsqu’il explique que pour les grands patrons de presse, Le Monde, c’est une marque. Même pour quelqu’un qui a grandi baigné par le scandale du « temps de cerveau disponible », la pilule est douloureuse à avaler. On comprend dès lors que les quatre journalistes s’entendent sur un « rejet massif des médias de masse ».

Mais qu’est-ce que la presse libre, alors, et comment fonctionne-t-elle ? À Bastamag, on joue la carte de la transparence complète puisqu’on trouve sur le site du magazine une page consacrée à l’économie du projet, qui rend compte, historique et graphiques à l’appui, des ressources et des besoins du magazine. Fort de 1,8 million de lecteurs par mois, le magazine ne compte que 2400 abonnés qui couvrent 45% du budget environ. Autogéré par les journalistes, Bastamag est couplé à l‘Observatoire des multinationales, et les deux médias sont en accès libre, en numérique exclusivement.

Quant à Politis, il se décline sur papier et sur internet avec des contenus diversifiés. Aux autonomies économique et de gouvernance déjà évoquées, Patrick Piro ajoute celle à l’égard de tout pouvoir politique, ainsi que l’autonomie intellectuelle. Cela devient particulièrement important en période de recomposition comme c’est le cas actuellement : les effets de brouillage amènent tous ces journalistes à travailler les clivages de la vraie gauche.

La Décroissance de son côté est un journal papier créé par les « Casseurs de pub ». Son représentant, Pierre Thissiet, évoque le programme du Comité National de la Résistance de 1945, qui se proposait d’interdire les concentrations dans le domaine des médias (l’infographie en une de l’article montre que ce principe a bien été oublié). Le choix de n’exister que sur papier relève d’une volonté de favoriser le temps long dans la lecture, aux antipodes de l’immédiateté des journalistes pilotés à l’oreillette.

En fait, comme Nuit Debout, la presse libre doit sans doute parvenir à articuler temps courts et temps longs : penser la décroissance d’un côté, la lutte au jour le jour de l’autre, réfléchir, mais aussi parfois, répondre du tac au tac à la désinformation des grands médias. Cette presse libre doit aussi rester solidaire : c’est dans cet esprit qu’a été créé le Portail des médias libres, tandis que Bastamag et Politis nouent des partenariats ponctuels, et s’essaient à la co-publication. On vous le répète depuis hier, « Tout seul, tu peux pas, nombreux, tu peux. »

Mathieu Brichard

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Crédits photos:

  • Collage #5-1: Stéphanie Pouech / DR
  • La presse qui possède quoi: Acrimed, Le Monde Diplomatique

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