La démocratie rêvée #4 : « La démocratie, le vote et le procéduralisme »

Suite de notre essai/feuilleton « Nuit debout, la démocratie rêvée ? » reprenant un essai de Benjamin Sourice initialement publié sur son blog Mediapart, pour mieux comprendre Nuit Debout à la lumière des différents mouvements d’occupation de places en Europe depuis 2011. (Lire l’épisode précédent : « L’irruption du peuple dans l’espace public »)

Lors des veillées de Nuit debout, il est apparu avec évidence que nombre de participants avaient déjà conscience des limites que pouvait rencontrer le mouvement. Les expériences des Indignés en Espagne ou Occupy Wall Street aux États-Unis étaient pour beaucoup à la fois connues et analysées de façon critique en terme d’écueils à éviter.

Dès le début, au sein d’un organe parallèle à l’Assemblée populaire, à savoir l’inter-commission où se réunissent les délégués de Commissions et « ceux qui font », se pose avec acuité la question de la légitimité réelle des décisions prises en Assemblée populaire et de la nécessité d’un processus de vote solide. En effet, au fil des soirées s’était imposée la nécessité du vote comme réponse à l’absence de résultats performatifs de la parole libérée pour changer la condition populaire. La démocratie n’était plus simplement liberté de parole, elle devenait intrinsèquement liée au droit de vote, voire au devoir de voter. Soudainement le scrutin s’imposa comme une urgence absolue, les orateurs s’enchaînant pour faire voter la foule assemblée, les plus précautionneux s’assurant de l’accord de tous en faisant un « vote sur le vote ».

À ce rythme, il n’aura pas fallu une semaine pour s’apercevoir que ces plébiscites sauvages posaient de nombreux problèmes stratégiques, tant d’organisation que de positionnement politique du mouvement. Une dérive observée fut celle de voir apparaître quelques tribuns fort doués capables de conquérir la foule en quelques minutes et de lui faire prendre des décisions qu’elle regretterait presque immédiatement ou qu’elle ne serait pas en mesure d’appliquer – tel ce vote sur la liberté d’opinion visant à introduire dans son sillage la présence de militants d’extrême droite sur la place de la République ou celui, récurrent, de l’occupation permanente par un bon millier de personnes, qui toutes finissaient irrémédiablement par rentrer chez elles à l’heure du dernier métro. Le soin de l’occupation – et celui accessoirement de faire face à la répression policière – était laissé « aux plus déterminés » et aux « commissions structurelles », comme la logistique, la sérénité ou l’infirmerie.

Complexe démocratie sur la place

Si ce n’est pas la liberté de parole ni le vote qui fondent la démocratie et la légitimité des décisions, ne se dissimuleraient-elles pas alors dans le procéduralisme législatif ? Ce fut l’option proposée par la Commission Démocratie sur la place à Paris qui entreprit d’établir un processus formel de vote. Le scrutin devait être échelonné sur une semaine avec le mérite de permettre à la fois les débats sur la place et en ligne, l’amendement des propositions, et d’établir les conditions strictes et nécessaires pour que les décisions prises fassent loi, du moins revêtent une dimension contraignante pour le mouvement en vue de le faire sortir de l’ornière du débat permanent.

Le 22 avril 2016, le journal Le Monde publiait un article, intitulé Nuit debout suspendue à son processus de vote, posant clairement le défi posé. Il y est fait mention du « piège de l’ultra-horizontalité » que souhaitait éviter la Commission démocratie. Le journaliste souligne que « ses participants savent que c’est cela qui a plombé le mouvement Occupy Wall Street. Pour éviter que les décisions ne soient soumises à la rigidité et à la lenteur du processus de vote, ils proposent donc de le limiter aux questions qui définissent les grandes revendications du mouvement et à celles concernant son fonctionnement interne. Les questions plus thématiques seraient quant à elles laissées à l’appréciation de chaque commission. »

Malheureusement, les procédures de vote instaurées et le nouveau formalisme introduit n’eurent pas raison des blocages, la « procédure longue » retenue imposant qu’une proposition passe trois fois devant l’assemblée (présentation, discussion, vote) pour être validée. Rapidement, il fut évident que, mis à part les porteurs de propositions, peu de personnes avaient la capacité physique de suivre ces débats, tandis que le vote continuait de se faire devant une assemblée circonstancielle qui découvrait majoritairement le sujet. Là encore, l’article du Monde laissait percevoir un véritable recul critique, caractéristique de nombre de participants à Nuit debout, sur les limites de l’expérimentation démocratique : « Le vote est l’un des outils du mouvement, l’un de ses modes d’expression, il n’est pas l’outil, ni le mode d’expression suprême. »

Lire la suite le mardi 19 juillet, épisode #5 : « « L’assembléisme », la dérive fatale des occupations sans fin »

Benjamin

Crédits photos:

  • Codes d’expression AG: Nuit Debout / DR

Benjamin

Auteur, blogueur, agitateur.


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