La Démocratie rêvée #3 : « L’irruption du peuple dans l’espace public »

Suite de notre essai/feuilleton « Nuit debout, la démocratie rêvée ? » reprenant un essai de Benjamin Sourice initialement publié sur son blog Mediapart, pour mieux comprendre Nuit Debout à la lumière des différents mouvements d’occupation de places en Europe depuis 2011. (Lire l’épisode précédent : « Libérer la parole pour agir !« )


La dénonciation des failles du système institutionnel d’une « fausse démocratie » vaut aussi comme constat d’impuissance pour le peuple réuni : « Comment se fait-il que nous soyons si peu en position d’imposer notre volonté populaire alors que la démocratie est censée nous garantir d’être un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ? » Si cette définition est largement partagée au sein des places occupées, nombre de manifestants font l’économie de penser ce que serait ce « peuple » invoqué.

Dans les mouvements d’occupation de places, le « peuple » se confond souvent avec l’ensemble des personnes assemblées à un moment précis sur un espace donné et qui développent une pensée collective. Il n’y a par ailleurs aucune logique d’exclusion ni limitation géographique formelle, ce peuple peut à la fois être à Paris ou à Lyon, voir à l’étranger (Global debout), sans que cela ne pose de problème ou de limite à sa définition avant tout inclusive.

Les philosophes Michael Hardt et Antonio Negri (Multitude. Guerre et démocratie à l’âge de l’Empire, 2004) convoqueraient peut-être plus sûrement la notion de « multitudes » plus que celle de peuple pour décrire ce « réseau ouvert et expansif dans lequel toutes les différences peuvent s’exprimer librement et au même titre, un réseau qui permet de travailler et de vivre en commun ». Contrairement à la foule –fragmentée, incohérente, anarchique – et à la masse – indifférenciée, passive, manipulable – la multitude est capable de s’auto-organiser, de résister et de créer collectivement du commun (connaissances, info, réseaux de communication, relations sociales coopératives, etc.). Les personnes assemblées sur les places ayant choisi de se dénommer « peuple », nous garderons donc cette dernière appellation, avec ce que cela implique dans la recherche d’un idéal d’union et d’identité.

Par ailleurs, il suffit d’ouvrir un dictionnaire pour s’apercevoir qu’il existe de nombreuses définitions au terme de peuple, qu’il s’agisse d’une communauté unie par des caractéristiques culturelles et géographiques, d’un ensemble de citoyens ou comme l’indique le Larousse « le plus grand nombre, la masse des gens, par opposition à ceux qui s’en distinguent par leur niveau social, culturel ou par opposition aux classes possédantes, à la bourgeoisie ». Le slogan « Nous sommes les 99 % », lancé par Occupy Wall Street, constituerait donc la mise à jour de cette dernière définition. Cette affirmation d’un « NOUS » hégémonique introduit un élément de compréhension important à savoir l’irruption du peuple dans l’espace public et dans la politique à travers le rejet de l’élitisme.

Ce peuple réuni souhaite s’auto-suffire dans son identité, et réclame en premier lieu de ne pas être canalisé ou structuré, de garder cette fameuse dimension horizontale face à une verticalité comprise comme synonyme d’aliénation, de mainmise de « ceux d’en haut sur ceux d’en bas ». La revendication de démocratie doit donc également se concevoir comme dénonciation de l’appropriation du pouvoir par une minorité, c’est à dire l’oligarchie, ennemi « désigné » du peuple.

Le réseau plutôt que la structure
Si nous prenons l’exemple de Nuit debout, cette irruption populaire a été permise par la grande discrétion de la structure organisatrice réunie dans un collectif ad-hoc et interpersonnel (Collectif pour la convergences des luttes), et qui ne s’attribuait qu’un rôle logistique pour « faire advenir les choses », anticipant qu’un « élan populaire était en train de naître » et qu’il lui fallait surtout un espace hors-cadre pour advenir à travers « une nouvelle façon de faire : c’est-à-dire faire sens et faire commun » (Revue Ballast, mars 2016).

D’autre part, c’est la vigilance permanente des personnes assemblées à l’égard des risques de récupération, par des partis, syndicats ou futurs candidats aux primaires, qui a conduit au refus de leaders et de porte-paroles. Quant aux « représentants du peuple », parlementaires et élus, leurs apparitions furent aussi rares que discrètes, laissant le cérémonial républicain et la cocarde au placard. Ce « peuple assemblé » affirmait ainsi son égalitarisme et l’impossibilité de toute forme d’intermédiation en son sein.

Les différents types d’organisations des luttes ont également fait l’objet de critiques, ce peuple constitué sur la place aspirait à s’autodéterminer autant qu’à s’auto-gérer, expérimentant inconsciemment les préceptes de l’anarchisme autant que de la démocratie directe. Ainsi, l’assemblée générale, typique de mouvements organisés (étudiants, syndicaux, associatifs) a été rebaptisée « Assemblée populaire », tentative d’affirmer la représentativité et la légitimité des propos tenus sur les places.

La puissance recherchée, celle censée fonder la démocratie réelle, repose alors sur la capacité d’universalisation des discours pour décrire une condition commune au peuple réuni. Cependant, les participants réalisèrent vite que cette parole universelle ne permettrait pas pour autant de modifier leur commune condition, et que la démocratie modelée sur ces places ne marchait encore que sur une seule jambe.

Episode à suivre vendredi 15 juillet : « La démocratie, le vote et le procéduralisme »

Crédits photos:

  • ND Rennes Place du peuple: Nuit Debout Rennes / DR

Benjamin

Auteur, blogueur, agitateur.


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