Le sabotage de la motion de censure citoyenne

Motion de censure citoyenne, épisode 2 : Le jour où les représentant.e.s du peuple ont fait en sorte qu’une motion de censure citoyenne échoue. Retour sur les coulisses d’un échec organisé.

Le 10 mai dernier, suite au premier 49.3, deux motions de censure ont été proposées par nos député.e.s. La première, de droite, a recueilli assez de signatures (58 minimum) pour être portée devant l’Assemblée Nationale. Étant à l’initiative de la droite elle n’a pas pu être votée par suffisamment de député.e.s, les apparentés frondeurs refusant de soutenir une motion de censure ne venant pas de leur famille politique. La motion portée par la gauche n’a, elle, pas recueilli assez de signatures pour être soumise au vote de l’Assemblée (56 seulement).

Dans le but de ne pas réitérer cet échec, nous, participant.e.s de Nuit Debout Paris République, avons proposé une motion de censure argumentant uniquement sur la démarche anti-démocratique du gouvernement, et le non respect de 3 articles de la Constitution que tous les élus du peuple sont censés défendre et faire respecter. L’article 49 al. 3 est certes constitutionnel, mais c’est un article qui permet d’outrepasser tous les autres : à quoi bon avoir une Constitution dans ce cas.

Notre démarche : promouvoir une motion de censure citoyenne.

Nous, participant-e-s au mouvement Nuit Debout, avons proposé aux député-e-s du groupe Front de Gauche, aux socialistes dits « frondeur-se-s » et apparenté-e-s, aux écologistes, ainsi qu’aux centristes de signer cette motion « citoyenne » et apartisane déjà diffusée plus tôt sur le réseau Nuit Debout.

Pour nous, cette motion de censure présentait différents avantages :

– Elle avait plus de chance d’être signée par 58 député-e-s et donc d’être portée devant l’Assemblée Nationale, car a-partisane (sans parti) ;

– Elle émanait d’une démarche citoyenne, d’une parole populaire qui n’aurait jamais dû quitter l’hémicycle et doit y retourner au plus vite ;

– Sa lecture devant l’Assemblée aurait permis aux député-e-s, auxquels tout débat a été confisqué par l’application du 49.3, de se positionner clairement sur cette loi et sur les démarches gouvernementales, et permis aux citoyen-ne-s de connaître, enfin, ce positionnement, à moins d’un an des prochaines élections législatives ;

– Cette motion permettait à tou-te-s de se rejoindre face à la confiscation du débat parlementaire et aurait pu recueillir les voix de différents partis pour censurer notre gouvernement et sa loi travail.

Il est important de souligner que si cette motion avait été votée, elle aurait eu pour principale conséquence d’empêcher la loi d’être adoptée par le Parlement, ce qui, au-delà des jeux politiciens, reste notre objectif premier.

Si cette motion avait recueilli les 58 signatures nécessaires à sa présentation au vote :

– Elle aurait prouvé que l’engagement du peuple (sur les places, dans les rues…) a un impact réel sur le fonctionnement de nos institutions, à une époque où l’abstention et le désengagement politique sont déplorés par ses représentant-e-s ;

– Les député-e-s refusant de voter cette motion de censure auraient admis, ouvertement, que ce déni de démocratie, ces décisions à l’encontre de la volonté populaire et du débat parlementaire ne les dérangent pas le moins du monde. Cette motion aurait pu mettre les député-e-s face à leurs contradictions.

– Son adoption aurait permis, même en s’appuyant sur des voix de droite et du centre, de faire tomber un projet de loi antisocial.

Une telle motion offrait également aux député-e-s qui la soutiendraient l’opportunité de :

– Se différencier de la ligne de leur parti pour les prochaines élections et se rapprocher des citoyen-ne-s qui devraient légitimement décider de leur avenir politique.

– Porter une voix différente à l’Assemblée, et prouver leur attachement au rôle d’élu-e du peuple plutôt que de membre d’un parti.

– Avoir plus de chances de censurer un gouvernement qui ne représente pas leur ligne politique.

– Tenir leur engagement de défense de la démocratie, mission qu’ils ont reçu de leur mandat.

– Envoyer un signal fort au Président de la République qui impose à la représentation nationale le vote, sans débat, d’une loi dont aucun des articles ne figurait dans le programme qui a permis son élection.

Convaincu-e-s que le gouvernement allait, une nouvelle fois, appliquer la stratégie du passage en force, nous avons pris les devants et demandé à de nombreux-ses député.e.s de les rencontrer. Citoyen-ne-s « lambda » sans accès particuliers aux cercles du pouvoir, nous avons contacté les permanences de ces dernier-e-s par téléphone, par mail, pour obtenir des rendez-vous. Plusieurs d’entre eux-elles se sont de prime abord montré-e-s ouvert-e-s à l’échange et prêt-e-s à nous rencontrer, mais, in fine, seuls deux d’entre eux (Alexis Bachelay (groupe PS) et André Chassaigne (groupe FdG)) se sont réellement présentés. Les autres nous ont proposé des reports – comme si le dépôt d’une motion était reportable – ou assurés de leur sympathie en même temps que de leur indisponibilité.

Bon nombre d’entre eux, nous ont fait part de leur volonté de soutenir, signer, voire porter cette motion sans modification … Pour ensuite se rétracter sans avoir la politesse de nous en tenir informé-e-s.

Pour être factuel, lors des échanges avec les député.e.s contactés :

– Alexis Bacheley nous a confirmé son intérêt pour cette démarche citoyenne, et nous a dit qu’il transmettrait à son groupe – pour ensuite refuser de signer une motion de censure même de « gauche » alors qu’il avait signé la précédente

– André Chassaigne s’est porté garant de l’appui des député.e.s Front de Gauche à cette motion citoyenne, nous assurant même être prêt à la porter à l’Assemblée si celle-ci recueillait suffisamment de signatures.

– Noël Mamère et Isabelle Attard se sont également déclarés partants pour soutenir la motion citoyenne.

La plupart des frondeur-se-s PS nous ont dit, par l’intermédiaire de leur assistant-e parlementaire, ne pas être au courant de cette démarche de motion de censure citoyenne, et ce malgré les nombreux mails, messages vocaux et échanges téléphoniques (parfois avec les député.e.s eux-mêmes), et bien que cette motion citoyenne ait été diffusée par le groupe Front de Gauche aux autres courants, et si l’on se fie à leurs déclarations, par certains parlementaires « frondeur-se-s » à leurs collègues.

Nous avons ensuite découvert, dans la presse et sans beaucoup d’étonnement, l’échec d’une motion « de gauche » faute de signatures suffisantes.

Une motion de censure citoyenne remplacée par une motion « de gauche » non adoptée: hypocrisie politique et leçons à en tirer.

Manif 14 juin
Manif 14 juin / Nuit Debout / DR

Nous avons appris que les « frondeur-se-s » du PS avaient exigé que cette motion citoyenne soit écartée pour une version « gauchisée », cela afin de s’assurer que personne de droite ou du centre ne mélange son vote aux leurs.

Cet argument peut se comprendre : s’ils avaient déposé une motion de censure apartisane, elle aurait pu récolter 58 signatures, et donc être portée devant l’Assemblée Nationale et dépasser le stade de la posture. Avec le risque, il est vrai, que la droite profite de l’aubaine pour voter la censure et faire tomber le gouvernement.

Devons-nous interpréter ce choix des frondeurs comme une volonté de protéger le gouvernement – position qui ne transparaît pas particulièrement des déclarations de leurs principaux représentant.e.s ?

Nous nous sommes, une nouvelle fois, heurté-e-s à un mur politicien !

« Nous ne voterons ou ne porterons jamais le même texte que la droite », nous a-t-on dit.

« Nous ne sommes pas assez nombreux-ses pour cette motion de censure que tout le monde souhaite dans l’idéal », nous a-t-on dit aussi.

Ce dernier argument semble d’une rare hypocrisie puisque quatre député.e.s socialistes qui n’avaient pas signé la première motion de censure ont décidé de signer la seconde. En sens inverse, quatre député.e.s socialistes qui avaient voté la première motion de censure ont choisi de ne pas signer la seconde dont Alexis Bachelay (qui était officiellement « intéressé » par notre démarche citoyenne).

Nous constatons que ces positions contradictoires ont conduit à l’échec de toute motion de censure, et que les grands bénéficiaires de ce résultat sont le gouvernement, qui voit son passage en force entériné sans la moindre contradiction, et ceux-celles qui se frottent les mains de l’adoption de la loi El Khomri.

Nous craignons d’assister encore une fois à une pièce de théâtre, à la dramaturgie bien réglée et dont la fin est connue de tou-te-s. Notre proposition de motion de censure citoyenne visait à sortir de ces jeux de dupe, à sortir de ces manigances politiciennes et autres effets de manche inoffensifs.

Prenant acte de cet échec, nous avons contacté l’assistante parlementaire d’un député « frondeur » qui, lui, avait soutenu la motion de la droite lors du premier 49.3 sur la loi travail dans le but de censurer le gouvernement. Son message : « Il n’y a que vous, dans la rue, qui puissiez installer un rapport de force pour faire passer cette censure et mettre la pression aux député.e.s »

Descendre dans la rue et sur les places pour instaurer un rapport de force avec le pouvoir ? Quelle drôle d’idée. Quel sage conseil. Pourrait-on pousser la symbolique encore plus loin et occuper une place au nom prédestiné, comme c’est le cas de celle de la République depuis plus de trois mois ?

Une occupation qui se heurte, comme toutes les mobilisations massives organisées pour lutter contre la loi El Khomri depuis des mois à la mise en œuvre par le gouvernement d’une répression constante et brutale, et de limitations toujours plus vives au droit de manifester et de s’exprimer, et à la surdité de nos représentant.e.s.

Proposer cette motion visait à sensibiliser et associer ces mêmes représentant.e.s à notre démarche, à leur offrir la possibilité de peser à leur mesure dans cette lutte. Nous en tirons des leçons.

Retour de la loi à l’Assemblée Nationale : deux semaines pour nous préparer à une nouvelle motion.

La loi travail revenant en dernière lecture à l’Assemblée Nationale aux alentours du 20 Juillet, nous avons deux semaines devant nous pour que cette farce parlementaire ne se répète pas. Deux semaines pour appeler nos députés, leur écrire, tenter de les rencontrer (voir liens « ressources » type lobby citoyen), partager notre motion de censure sur les réseaux sociaux, la distribuer lors de criées citoyennes dans le métro, en parler autour de nous. Et arriver le 20 Juillet avec un rapport de force qui nous permette enfin de peser concrètement, et démocratiquement, pour faire barrage à cette loi contre laquelle nous mobilisons toutes nos énergies.

Au passage, demain c’est les 100 jours du mouvement des places Nuit Debout… beaucoup d’activités prévues sur la place de la République et de toute façon on a presque tous/tes une place à côté de chez nous.

De la bouche d’un assistant parlementaire, il n’y a que la rue qui puisse faire pression alors… Rejoignez-nous! Participant.e.s à Nuit Debout Place de la République

Voir le reportage sur la motion de censure citoyenne

Crédits photos:

  • Manif 14 juin: Nuit Debout / DR
  • Tous hors la loi: Nuit Debout / DR

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