« La France brûle » – Le mouvement citoyen vu par Desde Abajo (Colombie)

Article paru le 24/06/2016 dans le mensuel colombien  Desde Abajo. Indépendante, cette revue traite avant tout de sujets politiques pour et par ceux « d’en bas »; elle est éditée par la société Colombia Tebeo Comunicaciones, qui publie également le Monde diplomatique en Colombie.

Un article de Valentina Viettro.

La France brûle

Le gouvernement de François Hollande a décidé d’interdire deux manifestations syndicales (une mesure sans précédent en plus de 50 ans) devant la persistance de la protestation sociale. Le Parti socialiste continue sa course vers la débâcle.

La France explose de tous les côtés. En premier lieu, la protestation sociale atteint des niveaux rappelant d’autres époques de contestation. Il y a plusieurs mois que les syndicats sont dans la rue et organisent des manifestations monstres – la dernière date d’il y a quelques jours – contre le projet de Loi Travail du gouvernement Hollande, alors que dans le même temps, la place de la République est occupée par les jeunes du mouvement Nuit Debout. La protestation s’est étendue au secteur des transports – des grèves ont paralysé plusieurs villes. En parallèle, la coupe d’Europe de football a attiré des hordes de hooligans dans les rues. Pour compléter le panorama, le djihadisme a de nouveau frappé le pays : il y a quelques semaines, un loup solitaire se réclamant de l’état islamique a tué un couple de policiers, égorgeant la femme devant son enfant, avant de diffuser sur un réseau social une vidéo de son acte. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la France est inquiète.

Manifestations interdites

Le gouvernement ne fait rien pour rassurer le pays. Bien au contraire, il alimente l’angoisse. Il vient, par exemple, de décider d’interdire les manifestations de rues, profitant de l’état d’urgence en vigueur depuis les attentats de novembre dernier et au prétexte que les derniers défilés syndicaux, principalement celui du mardi 14 juin, ont été le théâtre d’affrontements violents avec la police. Depuis 1962, pendant la guerre d’Algérie, jamais un gouvernement n’avait pris de telles mesures.

On a vu venir cette décision de loin. Les principales figures de l’exécutif, en particulier Hollande, le premier ministre Valls (qualifié de néolibéral par les syndicats et les formations politiques à la gauche du PS) et le ministre de l’intérieur Cazeneuve ont averti qu’ils « n’étaient pas disposés à tolérer les actes de violence ». Ces trois personnages disent avoir tenté une conciliation en appelant par différents moyens la principale centrale syndicale du pays, la CGT, historiquement proche du Parti communiste et protagoniste central des dernières manifestations, à « s’auto-contenir » et à suspendre l’appel à manifester lancé pour les journées des 22 et 23 juin. La tentative de négociation entre M. Cazeneuve et le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, n’a rien donné. En plus de défendre le droit à la protestation sociale et à manifester, M. Martinez a fait remarquer que le gouvernement se trompait en ne tentant de négocier qu’avec la CGT alors que des appels à manifester avaient été lancés par six autres centrales syndicales et fédérations étudiantes. L’exécutif a répondu que ceux qui avaient provoqué les « actes violents » des derniers jours étaient des « éléments » proches de la CGT, et ajouté qu’il « n’était pas en mesure d’assurer la sécurité des personnes et des biens matériels » car une grande partie des effectifs policiers et militaires avait été « déployée sur l’ensemble du territoire » pour prévenir « d’éventuelles attentats » durant la coupe d’Europe.

De « pures excuses », a rétorqué la CGT. L’échange s’est terminé avec la décision du gouvernement de donner « instruction » à la Préfecture de police de Paris de n’autoriser aucune des deux marches. Le gouvernement n’autoriserait qu’un rassemblement statique sans manifestation le mardi 28 juin, limité à la place de la Nation. Cependant, peu de temps après avoir rendu publique leur décision puis acté son rejet par la totalité des centrales syndicales (y compris la CFDT), par plusieurs parlementaires, par des ministres socialistes et même par l’extrême droite, qui a profité de ce coup de bluff de l’exécutif, les autorités ont fait machine arrière : une manifestation a pu finalement avoir lieu le 28 juin, de la place de la Nation à la place de la Bastille (distantes d’un peu plus d’un kilomètre), mais sous une surveillance stricte.

Droitisation

Manuel Valls est accusé de mener le parti socialiste au suicide en orientant le gouvernement de plus en plus à droite et en prenant des décisions qui, au lieu d’assurer la sécurité du pays, sont des appels à la désobéissance civile. Ce n’est pas pour rien que plusieurs titres de presse l’ont classé dans la catégorie « pyromane », par allusion à sa façon de soutenir la « loi travail », rejetée par plus de 60% de la population selon plusieurs sondages.

Aucune des sept centrales syndicales et étudiantes qui ont convoqué les manifestations de cette semaine n’est prête à accepter que le gouvernement limite sa liberté d’expression, et toutes considèrent abusif d’accuser la CGT d’abriter des « éléments violents ». Toutes sont d’accord pour dire que les actes de violence des derniers défilés incombent à la police et à ses dispersions disproportionnées contre les jeunes, en raison des tactiques utilisées et de la présence confirmée de provocateurs dans ses rangs.

La Fédération nationale des travailleurs portuaires et dockers de la CGT a exprimé dans un communiqué « son indignation » face aux généralisations de certains fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, qui n’hésitent pas à faire l’amalgame entre terroristes et syndicalistes. « C’est un manque de respect envers tous les travailleurs qui ne font que défendre leurs droits », a déclaré le syndicat, qui était présent massivement lors de la manifestation du 14 juin. Les travailleurs portuaires se sont demandé pourquoi, lors de cette manifestation, les forces de police ont laissé agir sans broncher les « extrémistes » présumés, qui ont détruit des commerces, des voitures et même la façade d’un hôpital pour enfants, en toute liberté. « Ne serait-ce pas pour discréditer le mouvement syndical ? » se sont-ils demandé.

Selon la version syndicale, la marche du 14 juin s’est déployée de façon pacifique durant au moins 5 heures, jusqu’à ce que, « à moins de 50 mètres de l’arrivée, et sans aucune raison, les forces de l’ordre utilisent leurs grenades lacrymogènes et leurs matraques pour couper délibérément le cortège en deux, insultant au passage les militants et les travailleurs ». La fédération assure détenir des vidéos, des photos et des témoignages démontrant que c’est l’intervention policière qui a déclenché la violence. Ces accusations ne proviennent pas seulement des syndicats, mais aussi de la police elle-même.

Alliance, un des syndicats policiers les plus actifs, a publié les ordres donnés par la hiérarchie aux agents des forces anti-émeutes. On leur ordonnait notamment de ne pas intervenir pendant au moins une heure. Le syndicat se demande : « Pour quelle raison devait-on laisser faire la violence ? » « Pourquoi ne pas empêcher la participation des éléments violents parfaitement identifiés ? » « Pourquoi attendre que tout soit détruit avant d’intervenir ? » Alliance ajoute, rejoignant ainsi le syndicat des dockers : « Se peut-il que le gouvernement use d’une stratégie visant à discréditer le mouvement syndical ? » Parmi les manifestants, on objecte en outre qu’il n’est pas dans les habitudes des manifestants qualifiés d' »extrémistes » de s’en prendre à un hôpital, qui plus est pour enfants. « Ce n’est pas dans leur logique d’action », déclarent des participants de Nuit Debout. « C’est plutôt celle des provocateurs de la police », ajoutent-ils.

Pendant ce temps, le parlement continue de débattre de la réforme du droit du travail. La prochaine session – la dernière – se tiendra le 13 juillet. Le gouvernement risque de ne pas réunir la majorité nécessaire pour l’approuver de par la défection de ses députés. Auquel cas il devra négocier ou légiférer par décret, ce qui accentuerait la grave crise qu’il traverse.

Traduction proposée par Julien pour Gazette Debout.

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Crédits photos:

  • Policiers en civil: Nuit Debout / DR

Alan Tréard

Auteur, reporter pour la Gazette debout.


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