Nuit Debout (pardon) mon amour !

Je n’étais pas là le premier jour, le 31 mars. Peut-être serai-je là pour les derniers jours, si quelqu’un réussit à inventer une fin à Nuit Debout. Ça fait deux mois et demi que je suis allé à la rencontre de ce mouvement, qu’il m’a plu, que j’y ai plongé tête la première. J’ai bâclé mes examens, j’ai délaissé ma famille, mes amis proches, j’ai oublié de dormir, de manger. Je me suis gavée de rêves et d’espoir, jusqu’à faire une overdose de passions et de lacrymo ; jusqu’à en être malade.

L’idylle des premiers temps a dernièrement laissé place à une frustration et à une anxiété probablement aussi toxiques pour moi que pour le mouvement. J’ai menti un peu en disant que c’était de la fatigue. Je crois que je suis assez douée pour mentir. Enfin, surtout pour me mentir à moi-même.

Avant-hier, comme une partie des médias de masse, le Parisien annonçait la fin de Nuit Debout. J’ai survolé l’article. Je suis tellement habituée à survoler les articles, maintenant. J’en ai ri, ainsi que de l’infographie qui prend de belles teintes rouges au fil des jours et de cette couleur – symbolisant le sang ? Le communisme ? La violence ? J’ai ri des pictogrammes, de la vision un peu étriquée des riverains, du mépris du pharmacien qui oublie que des sans-logis viendront toujours se battre et pisser sur la place de la République, même sans Nuit Debout. J’ai ri de mon propre mépris. J’ai eu une pensée pour la journaliste, certainement de mon âge, qui a guerroyé pour traiter de son mieux le sujet, malgré le temps limité qui lui a été accordé.

Et puis j’ai pensé au premier journaliste à qui j’ai parlé sur la place. C’était le samedi 40 mars, et il évoquait la difficulté de rendre compte d’un mouvement qui se traduisait soit de façon tout à fait diffuse, soit par une multiplicité de petites actions concrètes.

100 jours - Toujours debout
100 jours – Toujours debout / Nuit Debout / DR

Hier soir, ce même journaliste a retweeté Odezenne, un groupe français qui a sorti un clip pour son titre « Novembre », réalisé par Jérôme Clément-Wilz. Je ne connais pas vraiment Odezenne, ni le réalisateur du clip. Ce dernier a tourné pendant les manifestations, les affrontements, pendant NuitDebout. Cigarette, sourire, masque. Noir. Douille de grenade lacrymogène. Montparnasse et nuage de gaz lacrymogène. Bastille et hélicoptère. Invalides et nuages de gaz lacrymogène. Militaires et nuages de gaz lacrymogène. Gaz lacrymogène. Fumigène. Pluie, Kway, Assemblée Nationale. Forces de l’ordre et Assemblée Nationale. Masques et foulards… À la fin du clip de trois minutes, les gros engins de la propreté de Paris détruisent le camp de migrants de Stalingrad.

Le 42 mars au matin, j’avais failli pleurer quand ces mêmes engins avaient détruit le jardin, et toutes les installations qu’on avait montées sur la place de la Commune. Mais j’avais retenu mes larmes. La rage au cœur, j’avais rongé mon frein toute la journée pour me précipiter sur la place le soir même. J’ai continué à avoir la rage, et peu à peu, au fil des semaines, puisqu’on ne pouvait plus construire sur la place, j’ai moi aussi acheté du sérum phy, des masques, une paire de lunettes.

Hier soir, j’ai fondu en larmes devant ces trois minutes d’images qui m’ont révélé tout ce que je gardais en gestation depuis des semaines, tout ce que je n’osais pas affronter : mon absence de recul par rapport à la violence, mon manque de distance sur mon investissement et ma santé, mon angoisse parce que ce serait la fin, la fin du mouvement, la fin de la contestation. Ma frustration car je ne construis plus.

Les images de ce clip ont brutalement fait remonter mes souvenirs de début avril. Je me suis rappelé qu’il y a quelque temps (ça peut paraître une éternité), je faisais mes premiers pas sur la place de la Commune. Elle était recouverte de stands, on se marchait presque dessus, on était le 38 mars, il faisait beau, presque chaud, on enlevait des dalles pour faire un potager, les Beaux-Arts construisaient un château vers le café Fluctuat. On parlait de cabanes dans les arbres, on enregistrait de nouvelles Commissions. C’était beau, c’était un rêve. Dans l’effervescence, on avait construit une nouvelle manière de lutter, une bulle de sérénité, une véritable utopie.

Or, quand toutes les installations ont été détruites, quand les autorités ont imposé notre mode d’occupation éphémère, quand il n’a plus été possible de construire physiquement, je me suis construit un palais de colère, de luttes et de passions. 

Le temps a passé très vite, j’ai réussi à oublier ce qui m’avait attirée, happée, ce qui faisait que je me sentais mieux ici qu’ailleurs. Cette nouvelle manière de faire qui m’avait attirée au départ, qui sublimait l’action.

Pardon d’avoir oublié ce qu’était Nuit Debout, au-delà des manifestations, du gaz lacrymogène et des violences policières. Je n’oublierai plus.

Alice

Crédits photos:

  • Toujours debout: Nuit Debout / DR
  • La nuit n’a pas de bout: Nuit Debout / DR

7 réactions sur cet article

  • 1 juillet 2016 at 18 h 12 min
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    Merci pour ce texte très beau et très poétique. N’oublions pas ce qui fait la force de ce mouvement : « sublimer l’action ». Il faudra s’en souvenir et le répéter pour les prochains temps.

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  • 3 juillet 2016 at 11 h 06 min
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    heu… samedi 40 mars ? Et 42 mars, puis 38… je crains que toutes les dates ne soient fausses…
    i=Mais c’est une magnifique texte qui me donne envie d’agir, même un peu, pour la Nuit Debout

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    • 3 juillet 2016 at 13 h 13 min
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      Le 40 mars est quand elle a parlé à une journaliste pour la 1ere fois, le 38 mars son premier soir à Nuit Debout, le 42 mars au matin, elle évoque sa tristesse de voir le camp être détruit… 3 journées différentes pour 3 événements différents..

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  • 3 juillet 2016 at 23 h 24 min
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    Merci pour ce bel article qui reflète très bien ce que beaucoup d’entre nous ressentent et vivent actuellement… bravo et courage « la solidarité est notre arme »!

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