Ecole refondée ou privatisée ?

La commission éducation de « Nuit Debout Paris » écrit dans le document qu’elle consacre à ses orientations sur notre école « inégalitaire et violente » qu’il faudrait ouvrir davantage l’école aux parents. Dans le même texte, elle soulève le point le plus important et le moins débattu : celui des choix pédagogiques, un débat de spécialistes-enseignants dans lequel des parents veulent s’immiscer.  Si, comme le souligne le texte, on considère que l’école est à l’image de la société, le poids des parents dans l’organisation scolaire est la résultante de l’explosion du projet collectif au profit d’une myriade de projets individuels. Je livre ici une contribution à ce débat.

Lorsque j’ai commencé ma longue carrière d’instituteur en 1975, notre outil de pilotage pédagogique principal était le programme. Dans chaque discipline, il permettait d’assurer à mes élèves le même enseignement quelle que soit l’école dans laquelle j’exerçais.  Pour les écoles privées sous contrat, ces programmes étaient les mêmes. Ce qui distinguait l’Ecole Publique des écoles privées était son projet éducatif porté par la République et non par les familles. « Eduquer les futurs citoyens » impliqua, dès son origine, l’idée que l’élève devait acquérir les connaissances disciplinaires et les pratiques sociales lui permettant de développer son esprit critique et d’atteindre les conditions de son libre arbitre. Cette reconnaissance d’une autre fonction pour l’enfant se retrouve dans le fait qu’on parle du passage de l’enfant à l’élève, et même du métier d’élève.  A l’inverse, dans les écoles privées les parents d’élèves pour rester « maîtres de la pensée de leurs enfants » organisent leurs lieux d’enseignement en lieux d’éducation qui  correspondent à leurs propres projets, distillant leurs croyances, leurs visions de la société et du monde, permettant aux « élèves de leurs écoles » de rester les enfants de leurs parents, y compris pendant les actes de travail.

Collages #3-4 - Rira bien qui rira le dernier
Stéphanie Pouech / DR

La « refondation » de l’Ecole de la République en ouvre d’avantage aux parents. Elle ramène l’élève dans son statut d’enfant, en assimilant la culture des écoles privées. Jusqu’alors, dans les conseils d’écoles, les parents donnaient leur avis sur la composition des menus de la cantine, les horaires, l’organisation des transports.  Aujourd’hui, nous passons aux contenus des enseignements d’éducation physique et sportive, de sciences de la vie et de la terre, d’histoire, de géographie, de littérature et bientôt de mathématique. Tout ceci se faisant pour, selon les termes de la ministre de l’Éducation nationale, créer un climat de confiance avec les familles.

Parler de L’Ecole avec un grand E pour évoquer Notre Ecole Publique Gratuite Laïque Obligatoire, la même pour tous, dans tous les coins de France, n’est plus possible. D’une commune à sa voisine, voire d’une école à sa voisine, nous sommes en présence d’écoles tellement différentes, voire divergentes que de plus en plus de parents se croient autorisés à choisir ce qu’ils veulent qu’on enseigne à leurs enfants et comment le faire. Dans toutes les écoles primaires, et les collèges désormais, des horaires d’enseignements sont regroupés sous la terminologie de « socle commun ». Derrière cet ensemble de connaissances et de compétences communes, il y a l’idée de former des citoyens dociles. Les contenus disciplinaires sont identiques en quantité quelle que soit l’Ecole, sa localisation, les caractéristiques socio-économiques et culturelles de la population qui la fréquente, la qualité des personnels qui y travaillent ou bien le projet de l’école tel qu’il a été défini lors des conseils d’école. Mais s’il y a un socle commun, c’est qu’il y a des enseignements qui ne sont pas communs. Ceux-ci se différencient  en fonctions de 2 logiques complémentaires.

On n’arrête pas un peuple qui danse
On n’arrête pas un peuple qui danse

La première a mis deux ans pour distiller son venin. C’est celle dite des rythmes scolaires. Justifiée par un discours « différencialiste », elle a permis le développement des inégalités des offres scolaires. Les municipalités ont été invitées à développer des activités pédagogiques complémentaires qui, prenant appui d’abord sur la possibilité pour tous d’avoir accès à des activités sportives et culturelles, devaient offrir aux élèves d’autres voies d’apprentissages après les temps d’apprentissages scolaires. Selon qu’une commune a les moyens d’affecter des personnels qualifiés pour encadrer des ateliers nombreux et divers dans ces domaines, les élèves qui fréquentent ces écoles bénéficient d’activités post et périscolaires plus ou moins riches et de bonne qualité. En cas de défaillance communale, les parents d’élèves trouvent des solutions alternatives que le projet d’école entérine. Ainsi selon que vous serez citoyen d’une commune pauvre ou riche… A moins que vous ne soyez dans une école où les familles peuvent payer, vous aurez la possibilité d’apprendre à jouer d’un instrument de musique avec un professeur du conservatoire ou de participer à des jeux musicaux animés par une monitrice de centre aéré. Dans d’autres écoles, on voit apparaître des « clubs » scientifiques, mathématiques, historiques, écologiques,  ou d’éveil littéraire. C’est à dire qu’une école du « projet de la commune » ou « du projet des parents » se met en place après l’école du « socle commun ».

La seconde logique qui s’installe plus prudemment est celle dite des « parcours ».  Elle encourage toutes les initiatives d’individualisation du curriculum des élèves. Elle débute à l’école élémentaire par le parcours citoyen, le parcours artistique et culturel et, au collège, intègre le parcours avenir. Ces parcours permettent la construction des connaissances à la faveur du travail à l’école, certes, mais en individualisant les apprentissages, les situations de travail et les évaluations, et surtout en intégrant les choix des parents dans le travail et la vie des élèves. Autrement dit, cette logique fait exploser « La Classe » au profit du suivi individuel et enferme les enfants dans les valeurs familiales empêchant ainsi la construction de leur liberté.

Ces deux logiques propulsent l’Ecole dans la voie de la privatisation. La« refondation » c’est la généralisation des écoles pilotées par les familles, l’abandon du modèle français au profit de ce qu’il y a de commun en Europe

Voilà donc un sujet de réflexion pour tous les « nuitdeboutistes » qui suggèrent que les parents doivent avoir plus de place dans les écoles de leurs enfants… Demandons nous quel est le projet de société que cela porte.

  1. JF SIMONPOLI

Docteur en sciences du langage, Instituteur

auteur de : La conversation enfantine (1991) Apprendre à communiquer (1992), Ateliers de langage à l’école maternelle (2000) Nouveaux ateliers de langage pour l’école maternelle (2003) Compétences en Français au cycle 2 ( avec G. Ravoire 2001) chez Hachette éducation. Cinq sur cinq avec Léo (avec Coll. 2002) chez Orphie.

Crédits photos:

  • Collages #3-4: Stéphanie Pouech / DR
  • On n’arrête pas un peuple qui danse: Quentin M / DR
  • Education populaire 1: Nuit Debout / DR

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *