« Un pas de travers, petit citoyen, et tu finiras au commissariat. »

Le 22 juin, je ne cesse de fredonner « Nous vivons dans un état policier, un état policier » car où nous allions, les flics/condés/policiers/gendarmes/CRS sont là. Et nombreux. Toujours plus que nous. Plusieurs fois, je vois passer une succession ininterrompue de fourgons de CRS qui, gyrophare allumé, gueules fâchées, filent, filent, filent en grillant les feux rouges pour rejoindre les territoires occupés par les manifestations sauvages.

Pourquoi une telle mobilisation policière ? L’état d’urgence ? La peur des « casseurs » ? La police est là, plus présente que le peuple révolté, pour montrer que le gouvernement sait gérer ses citoyens ; que la main (in)visible de l’État est presque collée à la joue du citoyen « pas-content », pour le frapper et le faire taire si jamais ledit citoyen allait trop loin vis-à-vis des décisions prises par la majorité et le gouvernement. Un pas de travers, petit citoyen, et tu finiras au commissariat.

Selon France Info, il y a un flic au mètre carré dans la petite manifestation prévue par l’État-Syndicat. Une présence policière hors norme, du jamais vu. Un contrôle sécuritaire encore plus grand que sur une fanzone, digne de l’établissement d’un état d’urgence encore plus répressif. Plus de 2000 flics sont là pour répondre à la manifestation, et un camion à eau attend sagement rue du Chemin-Vert. Au cas où…

Pour comprendre l’indignation (quasi) générale du mouvement Nuit Debout, décrivons la présence policière sur le territoire parisien en ce 22 juin.

Manif 23 juin Un couple
Un couple pendant la manifestation du 23 Juin – Nuit Debout / DR

Bastille

Le premier point de rendez-vous de Nuit Debout est à 12h place de la République. A 12h15, nous voyons passer une farandole de CRS qui partent contrôler les individus désireux de se rendre à la manif à partir de la station de métro Richard-Lenoir, direction l’entrée du « Zoo-Manège-Manif » de la Bastille. Si on est en groupe, il y a un grand risque de se faire contrôler jusqu’à cinq fois avant l’entrée dans la Cage. D’ailleurs, la Cage, ce sont des barrages anti-émeute dans les grandes rues, des voitures de police dans les moyennes et petites rues. Pour un parcours d’1,8 kilomètre, en rond, autour de l’eau… Avant 15h30 – 16h impossible de sortir du Zoo de Bastille.< À l'entrée de cette manif - qui ressemble surtout à une fanzone anti-loi travail – les policiers empêchent les personnes de rentrer s’ils ont dans leur sac des foulards, du sérum phy, des lunettes de piscine; en bref toutes les protections contre les gaz lacrymogènes. Fort heureusement, pas de débordements. Si ce n’est qu’à la fin du Spectacle, il faut sortir dix par dix et accepter d’être filmé pour que les voitures puissent circuler normalement.

Notons aussi de nombreuses interpellations – environ 90, dont un journaliste de Taranis News, un autre de Street Politics et d’autres individus ayant filmé des arrestations… Les individus sans caméra, eux, sont interpellés parce qu’ils ont des protections au passage à la fouille. Ils resteront jusqu’à 6 heures en garde à vue.

Ne parlons pas du Service d’Ordre des Syndicats, qui repousse violemment les nuitdeboutistes essayant de manifester à contresens dès Bastille : « Le bon sens, c’est à contresens ! ». Parce que non, il faut rester sage et suivre les indications venues d’en-haut. Pas question non plus mobiliser les personnes extérieures au cortège – puisque nous étions en huis-clos – ce qui est pourtant le sens même des manifestations.

Manifestations sauvages

Mais où sont donc les black-blocs ? La manifestation étant fermée sur elle-même, elle ne peut les accueillir. Exclus, il sont partis durant tout l’après-midi en manifestation sauvage, laquelle est invariablement rattrapée par les flics avec des équipes deux fois plus nombreuses que les manifestants.

Celle qui doit se dérouler à Hôtel de Ville est annulée, les CRS ayant reçu l’information (par les réseaux sociaux) et prévu le coup en envoyant des équipes séparer les groupes. Cependant, elle se reconstitue plus loin, en passant par la place de la Victoire, Etienne-Marcel ou Dausmenil, et se terminée à la Gare de Lyon pour bloquer la voie 23. Les policiers/CRS sont en surnombre : environ 10 manifestants pour 50 policiers pour ceux qui bloquent la porte, et 200 flics pour 150 manifestants sur la voie..

Plus tard, à Ménilmontant, énième manif sauvage. Aucune présence policière. « Où sont-ils ? Que font-ils ? Nous entendent-ils ? Promenons nous à Ménilmontant pendant que les flics n’y sont pas, si ils y étaient ils nous arrêteraient, mais comme ils n’y sont pas, ils ne nous arrêteront pas ». Jusqu’à ce qu’ils arrivent, devant nous, avec de nombreux fourgons et des lacrymogènes lancés à tout va. Ils nous dispersent. Cette fois-ci encore, les manifestants sont environ deux cents et les CRS le double, voire le triple. Dix-neuf fourgons partent de République pour stopper les manifestants, sept autres attendent à Belleville. Résultat : la CFDT et un Pôle Emploi cassés et un manifestant blessé assez sévèrement pour être emmené à l’hôpital. D’autres ont reçu des coups.

Manifestation sauvage 24 Juin 2016
Manifestation sauvage 24 Juin 2016. Raphaël Depret – DR

Ce jeudi 22, la violence n’est plus seulement physique, comme le 14 juin, mais prend aussi une forme symbolique. Si le pouvoir policier ne nous frappe pas, il reste là, devant nous, pour nous faire reculer et nous empêcher d’agir. Il n’y a plus moyen d’exprimer sa colère, individuelle ou groupée… Quoi qu’il arrive ils nous tomberont dessus, nous aspergeront de gaz, nous frapperont, nous interpelleront… Si le pouvoir policier souhaite poursuivre cette stratégie du « plus-que-nous », il nous faudra repenser la nôtre. Puisqu’à la moindre tentative de guérilla (manifestation sauvage) ils viendront nous faire taire. Il faudra garder à l’esprit : « État d’urgence, état policier, on ne nous empêchera pas de manifester » et agir en conséquence.

Mobilisons maintenant des notions sociologiques pour comprendre la force policière et son pouvoir dans notre société. Elle représente, selon Max Weber, la violence légitime (au sens où elle appartient à l’État, légitime par lui-même car reconnu et accepté par la société civile comme pouvoir dominant, sous lequel elle accepte d’être gouvernée). L’État détient le monopole de la violence parce qu’elle est l’unique violence cautionnée par les citoyens français. Par exemple, nous avons applaudi la police lors de son intervention au moment des attentats (Charlie Hebdo, Bataclan…). La violence policière est donc une violence légitimée par le pouvoir démocratique..

Le problème de fond, aujourd’hui est la pratique même de la démocratie. Par ce biais-là, le caractère physique et symbolique de la violence légitime enferme les Français dans un gouffre de soumission où ils ont de moins en moins la possibilité d’exprimer leur désaccord.

La violence symbolique était très présente lors de cette manifestation. Il n’y avait pas guère moyen d’empêcher l’ordre de s’établir tel qu’il avait été écrit. Ce qui a entraîné une frustration certaine, réduite quelques minutes après avec le contresens de Nuit Debout. Le fait de s’être senti soumis au pouvoir policier et à l’État crée de la frustration et donne naissance aux manifestations sauvages qui se sont déroulées en amont. Cependant, la violence physique que les forces de l’ordre exercent à l’encontre des manifestants n’est pas relayée et le silence de nos blessures provoque un manque de mobilisation dans la société civile. La violence physique et la violence symbolique sont des instruments puissants du pouvoir destinés à contraindre le citoyen à rester dans la voie dominante.

Alinah Prouwell

Crédits photos:

  • Manif 23 juin Un couple: Nuit Debout / DR
  • Manifestation sauvage 24 Juin 2016: Raphaël Depret – DR
  • Manif 23 juin 01 Nuit Debout: Gazette Debout - DR

Une réaction sur cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *