Portrait : autopsie d’une autonome

PORTRAIT – Fleur est une grande rousse d’une vingtaine d’années. Après des études en ressources humaines et un travail d’assistante dans le même secteur, elle s’est radicalement réorientée pour étudier la science politique. Elle se retrouve au chômage. Et n’a pas l’intention de chercher du travail pour l’instant, estimant avoir mieux à faire avec Nuit Debout.

Dès le #9Mars, Fleur se mobilise contre la loi « Travaille ! ». Elle avait déjà manifesté, mais ne s’était jamais enfermée dans un parti ou un syndicat, sans pour autant se considérer comme Autonome. Elle s’intéresse beaucoup à Julien Coupat, notamment parce qu’il ne pose pas la question du « qui ? » mais du « pourquoi ? » : « Pourquoi on en arrive à un stade où, quand un type fracasse la vitrine d’une banque, 2 000 personnes autour applaudissent. »

Le déclic a été le désaccord avec les syndicats, la volonté de différenciation et l’envie de se rassembler avec d’autres gens, dès la deuxième journée de mobilisation. Elle n’a jamais porté de vêtements noirs. Sa première tenue d’autonome, ou « toto », se résumait à une simple écharpe à fleurs. Depuis, elle essaie de mieux se fondre dans la masse. Il y a beaucoup de Nuit Debout dans le cortège de tête, mais tous ne prennent pas part aux exactions, se contentant, comme elle, de les soutenir.

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Double face, Nuitdebout, Place de la République, 44 Mars – Cyrille Choupas – DR

Lors de la fin de manifestation place de la Nation le 26 mai, Fleur a pour la première fois donné un coup de pied à un gardien de la paix. Elle pianotait sur son téléphone, à l’écart des échauffourées. Un groupe de CRS arrive brusquement, la bousculant au passage. L’un d’eux lui rétorque sèchement de dégager. Le coup part, sans qu’elle y ait réfléchi. Elle détale sans demander son reste.

Elle estime que sa vie de « toto » commence avec ce geste. Être Autonome, « ça ne change pas la participation, ça change le message que tu véhicules : tu n’es pas de la CGT ou de FO, tu soutiens des modes d’action alternatifs, mais tout aussi politiques ». Malgré le danger, les violences, Fleur assure ne pas avoir peur; elle s’assume comme inconsciente et « un peu dans la lune ».

Depuis qu’elle porte du noir, petit à petit elle se rend compte des risques, et tient à être prête. La peur est remplacée par l’adrénaline pure : « Être témoin de tout ça, c’est fort, unique, c’est un mouvement social à part. Sur le moment, on se dit qu’il se passe quelque chose. C’est aussi très rassurant de voir la politisation du peuple, de ne plus se sentir seule ».

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Lacrymosa, Pont d’Austerlitz, 59 Mars Cyrille Choupas / DR

Mardi 14 juin, par exemple, elle a connu deux moments de frayeur; elle s’est imaginé « au mieux finir en garde à vue, au pire se prendre un flash Ball ». Lors d’un assaut de la police, comme elle ne court pas assez vite elle se fait rattraper et panique. Elle s’en sort en se faufilant « en mode souris ». Un peu plus tard, pendant un mouvement de foule, une dame de 60 ans prise d’une crise de panique hurle sur place. Fleur l’attrape par le bras et l’entraîne. Elle finit par la mettre à l’abri dans une cage d’escalier. Par la suite, Fleur apprendra par son copain qu’elles ont échappé de peu à une charge.

Le 14 juin, Fleur arrive Place d’Italie vers 12h30, pile à l’heure pour le rassemblement des nuitdeboutistes, qui voulaient prendre un peu d’avance sur le reste du cortège et se rejoindre à Gobelins. Un sandwich merguez-frites à la main, elle rejoint le groupe qui, pour beaucoup s’est dispersé au sein des autonomes. Le début est étrange, le cortège de tête étiré. Impossible d’évaluer le nombre de participants. Les policiers ont tout fait pour saucissonner le cortège. On s’attend à de l’action autour de Montparnasse, car toutes les issues sont bloquées, empêchant la manifestation sauvage prévue en direction du Sénat. Entre Montparnasse et Duroc, les manifestants subissent une pluie de projectiles, des charges et des contre-charges pendant 45mn environ, jusqu’à l’arrivée du canon à eau, à côté de l’Institut des aveugles et de l’hôpital Necker. Sur le moment, Fleur n’a pas conscience du « caillassage » d’un centre de soins pour enfants. C’est le canon à eau qui provoque l’arrêt des « combats ».

Le cortège repart jusqu’aux Invalides. En chemin, le ministère de l’Outre-mer rebaptisé « Ministère des Colonies » par les tagueurs: « On peut dire ce qu’on veut, les totos sont politisés et ont de l’humour. Mais aucune banque ni assurance n’a survécu au trajet ».

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Assemblée Nationale, 71 Mars – Cyrille Choupas / DR

Quant aux violences policières, Fleur ne saurait dire si les CRS ont été vraiment plus violents que les fois précédentes, ou si c’est un effet d’optique dû au nombre de participants. Cette manifestation, en dehors de la très forte mobilisation, ne lui a pas semblé très différente des autres.

À l’arrivée aux Invalides, au niveau du Crédit Agricole abrité par un bâtiment haussmannien nickel, un individu arrive avec un marteau et fracasse une première vitre, entraînant un déchaînement général. Un militant GCT tente en vain d’arrêter la casse. La police met énormément de temps à intervenir. Elle finit par évacuer tout le monde à coup de lacrymos et de canon à eau.

Fleur ne pense pas que le mouvement contre la loi « Travaille ! » soit vain, même s’il risque de s’essouffler pendant les vacances estivales. Elle estime que « tout ceci aura été un formidable catalyseur d’anciens et de nouveaux militants, créateur de nombreux réseaux politiques, qui marqueront nos vies. Pour les prochains grands événements politiques, il va se passer des choses, au moins à moyen terme. Les connexions se font naturellement ».

Timothée pour GAZETTE DEBOUT

Crédits photos:

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