Tous précaires ? Tous intermittents ? Tous debout !

TRIBUNE — Les intermittent-es du spectacle, on a pu les voir ici et là en lutte pour maintenir la protection sociale spécifique qui est la leur, un filet de sécurité vital en échange d’une flexibilité totale, le fameux “statut” qui en réalité n’en est pas un : c’est une assurance-chômage, point barre.

On a pu les voir occuper les théâtres nationaux, les antennes du ministère de la Culture, les locaux du MEDEF dans plusieurs villes, et même le plateau de David Pujadas en 2014. On a pu les voir aussi dans le mouvement de contestation contre la loi El Khomri, avec les cheminots en grève, les étudiants, dans les manifs, les rassemblements, les Nuits Debout, à République ou ailleurs. En fait, la bagarre dure depuis des décennies.

La convergence des luttes s’est imposée comme une évidence : le MEDEF cherche depuis des années à faire disparaître un régime d’assurance-chômage adapté à l’emploi discontinu, au contrat court, qui est la base même de la plupart des métiers du spectacle, mais qui devient aussi la norme pour l’ensemble des salarié-es quel que soit le secteur – plus de 80% des embauches se font désormais en contrat court.

Le but est donc de faire disparaître ce régime impérativement avant que toutes ces autres catégories de travailleurs ne réclament légitimement le même type de protection pour pallier cette précarité grandissante qui, loin d’être une fatalité, est au contraire une stratégie, organisée par à la fois le grand patronat actionnarial, les gouvernements français successifs, tous d’inspiration néolibérale quelle que soit l’étiquette politique, et les instances de l’Union européenne.

Ce néolibéralisme veut la plus extrême flexibilité des salarié-es, mais désormais ne veut plus cotiser pour la financer : le beurre, l’argent du beurre, la pile de tartines, la crémière, la boutique d’à côté, la rue entière – bref, “ils” veulent tout. Le projet de loi qui veut casser cent ans de protections accumulés dans le Code du Travail le démontre indiscutablement.

Sur environ 250 000, les quelques 110 000 intermittent-es du spectacle qui sont couvert-es par cette assurance-chômage sont une cible d’autant plus facile à abattre : la propagande patronale et médiatique les fait passer aux yeux de l’opinion publique pour des privilégiés, des assistés, des fraudeurs, et au final des gens qui « ne travaillent pas vraiment ».

Ainsi, au lieu de défendre un régime spécifique qui devrait justement être étendu à d’autres catégories de travailleurs, les salariés du régime général sont poussés à aider le MEDEF à supprimer la seule protection sociale existante qui pourrait à court terme leur être favorable à eux aussi.

Réunis depuis 2003 en coordinations régionales et nationale, les artistes et technicien-es intermittent-es mobilisé-es ont produit une masse de travail énorme pour s’organiser et devenir force de proposition – après tout, ce sont les premier-es concerné-es. Ainsi, une plate-forme a été élaborée, portée, proposée, défendue : elle est viable, chiffrée, sérieuse. Elle est plus juste et moins coûteuse. Elle réalise effectivement des économies, mais pas en précarisant davantage les plus bas salaires, ou pire : en excluant du régime des centaines et des centaines d’artistes et technicien-es déjà fragilisé-es par la récession économique générale et les coupes budgétaires incessantes dues à la politique d’austérité du gouvernement, et des collectivités locales par contrecoup. Certaines situations individuelles sont catastrophiques, certains témoignages sur les conditions de travail sont aussi dramatiques et scandaleux que ceux qui s’accumulent depuis des mois maintenant sous le hashtag « on vaut mieux que ça ».

De fait, c’est sur la base de cette plate-forme qu’un accord a été signé le 28 avril dernier par l’ensemble des branches spectacle des syndicats, y compris ceux représentants les employeurs. C’est ce texte – déjà une victoire décisive – qu’il fallait réussir à faire intégrer à la nouvelle convention Unedic qui va définir l’assurance-chômage pour l’ensemble des salarié-es pour les deux ans à venir. Le MEDEF s’y est opposé jusqu’au bout, faisant échouer cette négociation lors de la dernière journée, le 16 juin.

Les “partenaires sociaux” n’ayant pas réussi à se mettre d’accord, l’État est intervenu et a “repris la main” : l’actuelle convention devant expirer au 1er juillet sera en fait reconduite telle quelle, mais en intégrant l’accord du 28 avril. Nouvelle victoire pour les coordinations et les syndicats du spectacle.

Nuit Debout - DR
Occupation de la Comédie Française – Nuit Debout – DR

Ceux-ci ne se démobilisent pas pour autant. Il n’est pas question de relâcher la pression sur le gouvernement et l’Unedic. Actions et manifestations sont prévues. Parce que cette lutte s’articule parfaitement avec celle « contre la loi Travail et son monde ». Pour preuve, cette dernière contient des mesures que les intermittent-es avaient réussi à faire invalider par le Conseil d’État en 2014. Le gouvernement Valls remet donc dans un projet de loi des dispositions qui ont déjà été jugées illégales par la plus haute instance administrative.

De plus, la longue mobilisation des intermittent-es a clairement fait apparaître les dysfonctionnements du paritarisme, l’arbitraire des décisions, et pour finir, sans doute l’élément le plus scandaleux, le fait que l’argument économique du « déficit » du régime d’assurance chômage des intermittent-es, démonté, réfuté, chiffres à l’appui, a dévoilé que les attaques du MEDEF contre cette protection sociale sont purement idéologiques.

Le combat continue donc. La plus grande vigilance et la plus grande fermeté seront nécessaires, notamment pour refuser que l’État ne finance en partie les mesures décidées. En effet, cela ouvrirait la voie vers la création d’une caisse autonome en faisant sortir cette catégorie de salarié-es de la solidarité interprofessionnelle; cela ferait des artistes et intermittent-es du spectacle une sorte de “réserve d’Indiens”, donnant ainsi réalité au mensonge répandu du “privilège”, et étant de surcroît un piège pour l’avenir : rien n’empêcherait un nouveau gouvernement, ou un nouveau premier ministre, de supprimer ces financements, faisant de facto disparaître ce régime spécifique.

Très tôt, dans leur lutte qui semblait seulement particulière, les intermittent-es du spectacle ont martelé leur mot d’ordre : « Ce que nous défendons, nous le défendons pour tous ». Cela n’a jamais été plus vrai que depuis le début de la République de mars.

Bob Solo

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Crédits photos:

  • CGT – travail gratuit – non, merci: Nuit Debout - DR

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