Et Jean-François Copé s’éveilla au zéro absolu de la pensée politique

TRIBUNE – Vous souvenez-vous des Chevaliers du Zodiaque, ce dessin animé japonais qui a bercé notre enfance (ou l’enfance de vos grands frères et de vos grandes sœurs pour les plus jeunes d’entre vous) ? Il y avait quatre chevaliers super cool qui combattaient les forces du mal, et un cinquième dont on ne savait pas très bien à quoi il servait : le Chevalier du cygne – oui, même son totem ne faisait pas hyper sérieux ! Lui, son but dans la vie, c’était de s’éveiller au zéro absolu.

Pas génial comme mantra ! Mais vous vous demandez peut-être pourquoi je vous parle de ça ? Et bien parce que s’éveiller au zéro absolu, c’est ce qui est arrivé l’autre jour à Jean-François Copé (candidat à la primaire de droite) sur le plateau de On n’est pas couché… Si tout super-héros a son principe antagoniste – voyez Superman et Lex Luthor ou Batman et le Joker – alors, à cet instant précis, l’exact négatif de Nuit Debout, ce pourrait être Copé : les quelques phrases qu’il a prononcées ce soir-là ont résonné comme un précipité de tout ce contre quoi nous nous battons.

Si vous êtes élu président de la République, comment prévoyez-vous de faire passer vos réformes ?

— Dans la droite ligne de la droite décomplexée, je propose de changer complètement la méthode de gouvernance. Mon idée est simple : je gouvernerai par ordonnances. Et ça change tout, parce qu’à ce moment-là, on est dans l’idée d’inviter les Français à l’application des lois, non dans l’idée de savoir s’ils les veulent ou pas.

— Mais ça change quoi, M. Copé ? Les ordonnances vous prémunissent contre le gouvernement, pas contre la rue. Comment ferez-vous pour ne pas mettre les gens dans la rue ?

— Je ferai passer les lois en juillet-août, pendant les congés d’été… »

Face à une Léa Salamé estomaquée, Jean-François Copé ne parvient pas à réprimer un léger sourire. L’échange a lieu le 28 mai dernier dans On n’est pas couché, l’émission d’infotainment orchestrée par Laurent Ruquier qui, dans un paysage télévisuel désolé, passe pour le dernier salon où l’on cause. Copé sourit et renchérit :

— Vous avez déjà vu une grève générale le 15 juillet, vous ?

Il est visiblement content de ses réponses en forme de pirouettes. Il y a de quoi ! Gouverner par ordonnances, faire passer les lois pendant les vacances d’été : c’est astucieux et tellement digne de la hauteur de vue d’un président ! On regrette presque que Léa Salamé n’ait pas insisté davantage et que le dialogue ne se soit pas poursuivi, histoire de révéler les trésors d’intelligence politique que Copé gardait encore en réserve :

— Et si les syndicats descendent malgré tout dans la rue ?

— Je planquerai leur mégaphone, comme ça on ne les entendra pas…

— Et s’ils manifestent quand même, sans mégaphone ?

— Pendant la nuit, j’irai raser la moustache de Martinez : comme ça, il n’osera plus paraître devant les caméras… »

Et cetera, et cetera…

Nous sommes samedi soir, il est minuit passé et la température se rafraîchit brutalement : on vient d’atteindre le zéro absolu de la pensée politique, le degré zéro de la démocratie !

Manif 14 juin (6)
Manif du 14 juin. Jerome Chobeaux – DR

Le plus affligeant dans ces réponses du candidat à la primaire de droite interrogé sur les mouvements sociaux contre la Loi El Khomri n’est pas tant ce qu’il pense : cela, on s’en doutait ! Il a sa carte d’un parti au sein duquel un ancien président veut rendre le salut au drapeau obligatoire chaque matin dans les écoles, et où une ancienne ministre rêve d’inscrire les racines chrétiennes de la France dans la Constitution… Comme les observateurs ne manquent jamais de le rappeler, Les Républicains ne sont pas des Bisounours ! Ça non ! Plutôt les Razmokets de la politique…

Non, ce qui est réellement affligeant, c’est que Copé tienne ces propos sur un plateau de télévision tout en espérant conserver ses chances pour la primaire puis pour la présidentielle. Il témoigne en cela d’une certaine vision de la démocratie, mais aussi d’un certain état de son électorat potentiel. Cela signifie qu’en France, le niveau de « déconscientisation » politique est tel qu’un candidat pense que les électeurs peuvent avoir envie de voter pour un homme qui leur explique qu’il gouvernera sans eux.

Comment a-t-on pu en arriver là ? Il a fallu Maastricht, la Grèce à l’été 2015, et enfin le 49-3 pour convaincre le peuple qu’on pouvait gouverner sans le peuple et contre le peuple. Il a fallu surtout trente ans de sape idéologique réalisé par la nouvelle droite puis par la nouvelle gauche, qui ont patiemment travaillé l’opinion, jour après jour, soir après soir, dans votre salon. Et Jean-François Copé de citer involontairement Brecht : puisque le peuple est contre le gouvernement, alors il faut dissoudre le peuple… Mais les spectateurs qui regardaient le théâtre distancié de Brecht savaient qu’ils assistaient à une représentation, une représentation qui entendait leur donner une grille de lecture pour comprendre l’Histoire.

Collages / Stephanie Pouech
Collage (1), Stephanie Pouech / DR

En 2016, que voient les spectateurs de France 2 ? Jean-François Copé a-t-il tort non seulement de prendre les électeurs pour des buses, mais aussi de leur expliquer avec beaucoup de franchise et de pédagogie qu’il les prend pour des buses ? Sera-t-il récompensé pour avoir eu la sincérité d’avouer publiquement à quel point il les méprise ? L’avenir nous le dira. On a hâte…

En attendant, on a déjà quitté la Terre pour Mars, et le programme de certains candidats à la primaire de droite ressemble de moins en moins à un programme politique et de plus en plus à un recueil de blagues de Toto. Vous vous souvenez tous de cette blague où le père de Toto l’envoie au supermarché acheter de la bière ? Toto préfère acheter des bonbons et, se rendant compte qu’il n’a plus d’argent, pisse dans une bouteille et la rapporte à son père en lui faisant croire que c’est de la bière. Bon, d’accord, avec le recul, on se rend compte que la blague n’était sans doute pas basée sur des faits réels : il y a peu de chance pour qu’au supermarché, on laisse un enfant de dix ans non accompagné acheter de l’alcool… Mais elle nous faisait quand même bien rire. Parce que, comme toujours, Toto mentait mais s’en sortait à la fin.

Il en va de même avec Copé. Ce n’est plus Toto, c’est Jojo. Jojo se fait élire en faisant croire qu’il va redresser la France avec un programme d’austérité ultra-libéral, mais comme ça ne marche pas et que les gens ne sont pas contents, il finit par pisser sur le peuple en lui faisant croire que c’est de la démocratie. Connaissez-vous cette phrase, dont on ne sait jamais si on doit l’attribuer à Marx ou à Hegel ? « L’Histoire se répète toujours deux fois : d’abord sous la forme d’une tragédie, puis sous la forme d’une farce. »

Une chose est sûre : en 2017, qu’est-ce qu’on va rire ! Au fait, vous faites quoi cet été ?

S.

Crédits photos:

  • Manif 14 juin (6): Jérôme Chobeaux / DR
  • Collages_1_1: Stéphanie Pouech / DR
  • Cygne: DR

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