Et si Nuit Debout, ce n’était pas du pareil au même ?

ANALYSE SOCIOLOGIQUE SUR LA NOTION DE « PAREIL AU MÊME ». « Je suis là… sur la place à Nuit Debout parce que je suis déçu de la politique, des politiques : gauche, droite… je suis déçu des médias qui jouent le rôle de courroie de transmission des partis politiques classiques. Ils sont tous pareils : les partis, les médias… du pareil au même (sourire). En fait nous avons tout perdu, les lumières, la critique, l’esprit, le recul. On vit dans le sensationnel et l’immédiateté, nous avons perdu surtout notre monde ». Pascal, 56 ans employé de banque. Entretien réalisé sur la place de la République le jeudi 19 mai 2016.

Lorsqu’autrui ne tient pas sa promesse, et lorsque cela fait bien longtemps que plus personne ne la tient, habituellement, nous le disqualifions en disant : « Lui et les autres c’est du pareil au même ». L’affaire n’est pas que politique, elle est plus généralement éthique : un tel énoncé peut trouver son sens en famille, à l’école, à l’Assemblée nationale…. Il marque, de fait, l’échec de toute identification possible à autrui, et peut trouver, en tant qu’expression de déception, sa résolution dans l’assomption et la revendication d’un rôle ou d’une identité collective comme dans ce que le psychiatre nomme troubles de l’identité, en s’aidant d’un pluriel apte à masquer son ignorance : qu’est-ce que l’identité, sinon ce qu’un tel a perdu, que d’autres croient avoir trouvé, ici ou là comme un abri que l’on recherche quand il pleut ?

Car de l’identité, il n’est pas possible de parler simplement dans l’authenticité, comme du réel d’ailleurs. Leur singularité est l’extrême limite hors de ce qui peut être dit. En parlant d’identité, on banalise, on ne dit rien. Ce qui dans la vie courante est dit de l’identité est bavardage ; on y tient, on l’affirme, on la critique, c’est une chose précieuse qui habite de nombreux récits, le mien et celui des autres ; c’est ainsi qu’elle est constitutive, dans la banalité, de notre ancrage dans le monde. Il s’agit en premier lieu de ce qui, dans le monde, est mien.

Aussi le trouble de l’identité n’est pas la perte du moi mais la perte du monde. Et la promesse maintes fois déçue peut conduire à l’effondrement du monde comme à son recueillement dans ce qui, dans l’intimité de l’homme, est autre que lui-même, le sacré.

D’autre part, il faut bien dire que la perte de l’identité est parfois – dans la terreur en particulier – une nécessité vitale. Le seul moyen de sauver sa peau est parfois de ne plus être personne, ou d’être un autre. Un mécanisme de défense qu’on peut désigner par l’expression « moi divisé ».

Moi qui vous parle, cependant, de l’identité ou d’autre chose, je ne cours aucun risque si ce n’est de ne rien dire. Lorsque je dis « du pareil au même », j’affirme donc que rien ne changera. Je m’ancre dans l’indifférence. Je me réfugie dans l’opinion commune du ON et je me dérobe à toute question.

Enfin, il y a dans la locution « du pareil au même » la question du chemin qu’il faut faire pour revenir au même. Ce qui peut avoir un double sens : ne pas avoir avancé, c’est le sens courant, et revenir à la chose en tant que phénomène du même. Peut-être le collectif Nuit Debout et sa méthodologie des « communs » traceront-ils un nouveau chemin.

Atmane AGGOUN

Crédits photos:

  • Manif 14 juin: Nuit Debout / DR

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