La convergence, un travail à temps plein

REFLEXIONS – Depuis le #31Mars, un mot d’ordre a rassemblé des milliers de personnes dans l’espace public : la convergence des luttes. Après plus de deux mois, cette convergence a-t-elle eu lieu ?

Cet élan de manifestations et autres rassemblements résulte d’un appel. Mais il ne dépend que de celui qui prend le micro, et surtout de celui qui tend l’oreille. Cet appel trouve son origine dans la réunion d’un journal et de figures universitaires de la gauche radicale. Et le panel des personnes ayant répondu est bien plus varié qu’on aurait pu le prédire. On a pu y voir ainsi un aventurier de la vie dans la rue, de jeunes étudiants.es en quête de savoir, des retraité.es continuant de travailler sur les liens sociaux, des militants.es engagés.es dans des causes telles que le climat ou le social, des parents et leurs enfants venus s’imprégner de l’atmosphère de la place… Des personnes qui espéraient l’avènement d’une nouvelle ère convergeaient tous les jours sur la place de la République.

Mais cette convergence est limitée dans le temps. Un lieu et des causes pour se rassembler. Par la suite, une multitude de groupes se sont créés, et des ponts ont amorcé une mise en réseau. Réunis par affinités, certains se sont spécialisés pour mieux travailler.

Une nécessité avait émergé : la convergence « contre la loi travail et son monde ». Une échéance, un objectif clair dans le temps, une manière d’agir évidente venant de personnes affectées directement ou indirectement par cette loi et désirant se joindre à la lutte.

Nuit Debout
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Néanmoins la lutte contre ce « monde » est plus complexe. Le monde en question n’est-il pas à mettre en lien avec d’autres facteurs que cette énième loi ? Certains veulent ouvrir le débat à des champs plus larges, tandis que d’autres se concentrent sur le moyen de lutter contre cette forfaiture parlementaire. 

Cela se matérialise dans la forme et l’organisation que prend le mouvement. Des actions de luttes d’un côté, et, de l’autre, des réunions sur des thèmes élargis pour la coordination sur la place. L’urgence de cette future évolution législative fait que les forces sont appelées prioritairement en soutien. Mais ces forces sont notamment constituées de militants.es pour qui la lutte doit aussi se concentrer sur le « monde » de demain qu’elle préfigure et dont nous ne voulons pas.

Ainsi « Contre la loi travail et son monde » devient une balance qui penche en ce moment de plus en plus vers la loi travail, rendant la lutte contre « son monde » plus timide et moins audible. Certes, il faut se concentrer sur la menace immédiate, qui n’est pas négligeable. Toutefois, le risque est qu’on se retrouve le nez dans le guidon, sans prendre le temps de regarder ailleurs, sans s’intéresser à ce qui est en train de se jouer sur d’autres fronts.

La convergence prend alors des allures de divergences. Le mouvement commence à reproduire les mécanismes défaillants du système qu’il conteste. Les idées s’opposent au lieu de se compléter, les actions s’éparpillent au lieu de se fédérer pour former une vraie force de frappe, les manifestations et revendications se boudent plutôt que de travailler ensemble. Peut-on alors encore parler de convergence ?

Portrait 19
Nation, 40 Mars – Cyrille Choupas – DR

Ce qui est indéniable, c’est la mise en réseau. Malgré les désaccords, des gens s’efforcent d’en maintenir les ponts. Un exercice bien difficile au vu de la quantité d’opinions et de méthodes différentes qui se font face. Converger demande un effort constant. C’est savoir mettre ses opinions de côté, s’effacer un instant pour comprendre l’autre et non juste communiquer. De cette compréhension émergera sans doute un fond commun. C’est dans l’effacement de soi que l’horizontalité véritable sera possible. Dès lors le mouvement pourrait former une contexture (« entrelacement de plusieurs parties formant un tout »), et la convergence devenir une confluence, un voyage permanent à faire ensemble.

Les luttes s’expriment et apparaissent en fonction de l’oppression. Elles changeront constamment, revêtiront différentes formes. Quand la loi travail sera votée, ou rejetée, qu’adviendra-t-il ? Y aura-t-il des blocages et des grèves contre le Tafta, contre la prochaine loi sécuritaire ? Les groupes ayant fait appel à la solidarité et à la convergence pour bénéficier d’un soutien dans leur lutte seront-ils là pour aider en retour ? Le pourront-ils ? Sera-t-il possible de converger durablement ?

C’est là un flot de questions qui s’impose. L’urgence étant ailleurs, il est peut-être prématuré de  les soulever. Pourtant, on ne pourra bientôt plus temporiser. À un moment, il faudra converger.

Parfois, la convergence s’éparpillera sur mille fronts et en différentes entités, chacune de son côté, comme avant, et comme le souhaitent nos dirigeants : diviser pour mieux régner. La mise en réseau aidera, mais ne pourra ni fédérer ni contribuer à l’amplification du mouvement. Il faudra bien une cause qui rassemble, qui fera sens. Une direction qui donnera envie de travailler de concert pour changer de cap, loin de la seule loi travail, mais effectivement contre son monde. En attendant, la convergence demande encore du travail. 

Il est nécessaire de cultiver notre jardin…commun.

SEBASTIEN. 

Crédits photos:

  • Revue 15 juin: DR
  • Portrait 19: Cyrille Choupas /DR
  • Manif, psychiatrie: Nuit Debout / DR

3 réactions sur cet article

  • 18 juin 2016 at 11 h 02 min
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    Je crois avoir cliqué sans le vouloir et sans avoir fini.
    Donc merci pour cette réflexion utile, nécessaire!

    La difficulté est l’impossibilité pour les salariés de se mobiliser sans etre en grève d’où l’intérêt, l’utilité de la grève générale.
    Mais oui le slogan »la loi El K et son monde » m’ést apparu toit de suite et peu clair et trop centré sur la loi. Mais c’est une autre histoire qu’il faudra peut-être ecrire.
    Nouvel élément qui va dans le sens de ton questionnement et de le craintes: l’ouverture du dialogue entre la CGT et là ministre. A ce titre un excellent papier d’un groupe CGT et qui donne le texte des propositions de la CGT laissé à là ministre montre que le chemin du retour au « calme » est repris. Je vais postee à la gazette ce texte qui sera peut-être publié

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  • 18 juin 2016 at 11 h 06 min
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    Voici le texte dont je parlais dans le commentaire que je viens de poster et le document officiel laisse par Martinez à là ministre. Je crois que ça vaut la peine de le publier…

    Bien à vous tous Aline Envoyé de mon iPhone

    >

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  • 19 juin 2016 at 16 h 20 min
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    Bonsoir les debout. La convergence des luttes, les luttes, la démocratie authentique et tout ce qui va avec, c’est comme le vélo; quand on arrête de pédaler, ça se casse la gueule.. « Et cependant, Elle tourne.. » Salutations.;

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