Manif 14 juin : Sandwichs aux poulets et douches gratuites à Paris

REPORTAGE – Depuis les arcades des Galeries Lafayette, j’ai vu débouler sur la place du 18 juin 1940 (devant la gare Montparnasse) les premiers milliers de manifestants descendus dans la rue contre la Loi Travail ce 14 juin. C’est usuel à présent, de voir le « carré de tête » de l’intersyndicale dépassé, dès le début de la manifestation, par des personnes qui ne veulent pas ou plus défiler sous des bannières dans lesquelles ils ne se reconnaissent plus, ou ne se sont jamais reconnus ; des personnes composant la tête de cortège, cet organe fantasmé ou plutôt fantasque, de composition hétéroclite et d’allure homogène, avec ses propres codes, ses propres slogans, et ses propres organisations.

Manif du 14 juin
Manif du 14 juin – Raphael Depret / DR

Une banderole dans la tête de cortège

Les premières lignes de ce cortège de tête (800 « casseurs » d’après notre premier ministre, sauf que Le Monde et d’autres médias expliquent que la réalité est bien plus complexe) étaient précédées d’une ligne de forces de l’ordre avançant à reculons, et suivies par une autre ligne. Cette dernière chargeait ponctuellement, vers l’avant ou vers l’arrière, et tenait à distance les manifestants par un feu nourri de grenades de type lacrymogène ou autre. Elle recevait en réponse des projectiles, des bouteilles, des morceaux de bitume.

Il y avait ainsi une sorte de « no mans land » de quelques dizaines de mètres entre deux portions de la tête de cortège :

Manif 14 juin Plan de la manifestation
Le plan de la manifestation selon Alice. Infographie TK pour Gazette Debout – DR

Scène absurde que ce « sandwich aux poulets », symptôme d’une stratégie visant à décapiter le cortège en mettant en danger les forces de l’ordre, et, par interdépendance, les manifestants qu’elles doivent encadrer.

Bien que la décapitation soit habituellement le fait du SO (service d’ordre) des syndicats, cette stratégie est vivement critiquée. Dans un article de l’ESSOR (journal indépendant de la gendarmerie, oui Gazette Debout a parfois des lectures étranges), Laurent Mucchielli, sociologue et chercheur au CNRS, déclare : « C’est une stratégie offensive globale contre les manifestants, qui ne cible pas spécifiquement les « casseurs ». Les policiers sont trop visibles, trop près des manifestants, ils interviennent trop tôt : leur attitude contribue à augmenter les tensions. »

Manif du 14 juin
Manif du 14 juin – Raphael Depret / DR

Mais revenons à notre manifestation du 14 juin. Le cortège progresse, au rythme imposé par les forces de l’ordre, sur la portion du boulevard du Montparnasse qui descend vers le boulevard des Invalides. Au niveau du métro Duroc, parce qu’il faut attendre le reste du cortège, ou parce que les totos (les autonomes) ne veulent plus avancer, de violents affrontements commencent. Pendant plus d’une demi-heure le cortège sera bloqué au croisement de la rue de Sèvres, avec pour conséquence des vitrines entièrement démontées et des dégradations sur l’hôpital Necker jusqu’à : BADUMTSSS !

Manif 14 juin
Manif 14 juin / Douche gratuite offerte par les Compagnies Républicaines de Sécurité – Nuit Debout / DR

La sortie du CAMION À EAU ! Cet élément de l’arsenal policier n’avait jamais encore été utilisé à Paris dans le cadre des manifestations contre la loi Travail. Les Nantais y avaient eu droit, les Lyonnais aussi. Evidemment l’eau n’est pas potable, elle est même couramment mélangée à des substances irritantes ou nauséabondes.

Les avis divergent sur la dangerosité de cette arme dite sublétale, comme l’explique ce billet de blog d’un commissaire de police (oui, on a vraiment des lectures étranges à Gazette Debout). Les Allemands l’utilisent couramment, alors qu’en Grande-Bretagne il n’est autorisé qu’en Irlande du Nord. D’ailleurs le Home Secretary britannique (l’équivalent de notre Cazeneuve) a refusé l’année dernière d’autoriser leur usage, alors même que la police londonienne en avait acheté trois. En Palestine, le gouvernement israélien expérimente également sa propre version de l’« eau sale» sur les quartiers de Jérusalem-Est.

Hier, le camion a accompagné la tête de cortège jusqu’à l’esplanade des Invalides, le reste du cortège étant partiellement détourné par l’avenue de Tourville. Il a été rejoint par un second camion à eau, puis il a de nouveau été utilisé.

Alors, changement de stratégie ? Le k-way noir et le masque de ski seront-ils remplacés par le maillot de bain et les lunettes de piscine cet été ? On verra ça lors de la prochaine journée de mobilisation contre la Loi Travail, prévue le 23 juin.

ALICE

Crédits photos:

  • Manif du 14 juin: Raphael Depret / DR
  • Manif 14 juin Plan de la manifestation: Infographie TK pour Gazette Debout / DR
  • Manif du 14 juin: Raphael Depret / DR
  • Manif 14 juin: Nuit Debout / DR
  • Manif du 14 juin: Raphael Depret / DR

Une réaction sur cet article

  • 15 juin 2016 at 14 h 40 min
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    Comment faire converger des luttes si on commence par dire:
    « C’est usuel à présent, de voir le « carré de tête » de l’intersyndicale dépassé, dès le début de la manifestation, par des personnes qui ne veulent pas ou plus défiler sous des bannières dans lesquelles ils ne se reconnaissent plus, ne se sont jamais reconnus ; des personnes composant la tête de cortège, cet organe fantasmé ou plutôt fantasque, de composition hétéroclite et d’allure homogène, avec ses propres codes, ses propres slogans, et ses propres organisations. »
    Même si tous les manifestants n’ont pas que l’abolition ou le retrait de la loi travail en ligne de mire, même si tous les manifestants n’ont pas tous la même optique de la manifestation en général et de celle d’hier en particulier. Il est certain que tous ont au moins ce plus petit point commun.
    Tous sauf les autonomes.
    Alors je voudrais bien me tromper mas j’ai à chaque manif de plus en plus le sentiment que ces Totos comme vous les appelez ne convergent qu’avec les flics et les médias vallsiens. qu’ils pénètrent dans le cortège pour donner l’occasion du sandwich dont vous décrivez la composition et dont les policiers qui parlent disent eux mêmes qu’il s’agit d’une stratégie pour décrédibiliser le mouvement…Hier 1,3millions de manifestants une manif colorée et dynamique du début du cortège jusqu’à la fin et ce matin on ne parle que des vitres cassées de Neker des abribus decaux des voitures de bolloré qui ont été brisés par les charges policières….( non bien sûr par les manifestants!?)
    Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer ce que je n’ai pas compris?

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