Tyrannie de la construction européenne

TRIBUNE — PAR BOB SOLO

Il faut encore interpeller et s’interroger au sujet de ce qu’on appelle la construction européenne : qu’est-elle devenue, qui sert-elle et qui la dirige ?
Du récent affrontement entre l’UE et le gouvernement grec jusqu’à loi travail imposée en France et ailleurs, en passant par le TAFTA et les autres traités économiques en vigueur ou en préparation, des événements qu’on pourra qualifier d’historiques, pour une fois sans exagérer, se déroulent sous nos yeux.

Le 23 juin, on vote au Royaume-Uni pour ou contre le fameux Exit, la sortie de l’UE d’un pays membre (qui n’est déjà pas dans la zone euro). Fin juin également, lors du prochain sommet de l’UE, la commission européenne demandera aux pays membres de confirmer le mandat de négociation qu’ils lui ont confié concernant le TAFTA, ou TTIP, le plus important accord commercial prévu entre l’Europe des 28 et les États-Unis, de plus en plus contesté par les populations des deux côtés de l’Atlantique. Partout se déclarent des zones hors TAFTA. Jean-Claude Juncker met clairement la pression sur tout le monde pour aboutir rapidement.

A ce stade-là, il s’agit de bien comprendre ce que tout ça révèle de ces institutions qui paraissent si abstraites et lointaines, mais qui, en fait, qu’on le veuille ou non, qu’on le sache ou pas, régissent maintenant nos vies quotidiennes. Et à partir de là, la nécessité – urgente – de prendre position : si la première question qui se pose nettement, c’est la vraie nature de cette “construction européenne”, la seconde est clairement de savoir si on souhaite continuer d’y participer – de la subir ? – ou pas.

Le fait est que cette UE a indéniablement montré “son vrai visage”, comme l’ont dit beaucoup d’observateurs, médias, économistes, responsables politiques divers, etc. Un visage, c’est-à-dire surtout un langage et des comportements pour le moins autoritaires, des méthodes brutales, tyranniques – on évitera ici de parler de dictature, ne serait-ce que par souci de peser les mots et peut-être par respect des victimes des “vraies” dictatures passées ou présentes : ces endroits où l’on assassine les gens pour tuer leurs idées.

Mais on a tout de même vu à l’œuvre une poignée de gens de pouvoir totalement dénués d’ouverture, d’honnêteté ou tout simplement d’humanité, et dont les plus beaux spécimen flirtent allègrement avec le conflit d’intérêts ou le soupçon de corruption – le président Juncker en tête. Leur intransigeance veut se faire passer pour de la “responsabilité” quand on n’y voit que la défense acharnée de dogmes économiques qui protègent uniquement les privilèges d’une classe dominante, dont ils font partie, au détriment de centaines de millions de citoyens européens.

Dès lors, le discours sur l’Europe « des peuples », l’Europe « qui protège », l’Europe de la « solidarité », tout ça n’est plus qu’une mauvaise blague, une opération de propagande. Une arnaque. Au minimum un échec retentissant, si tant est que la réussite de la mise en œuvre de ces beaux concepts ait été ne serait-ce qu’un seul jour le véritable objectif de tout ce bazar technocratique – ce dont on peut carrément douter aujourd’hui si on y croyait encore hier. Et justement certains n’y ont jamais cru.

On peut aussi y être complètement indifférent, comme beaucoup l’ont toujours été, n’en avoir rien à faire ou penser que “c’est comme ça”, qu’on n’y changera rien, et que la seule option qui reste l’est à titre individuel : faire avec, faire pour soi, faire “son petit bonhomme de chemin”. Dans ce cas-là, il faudra quand même accepter qu’à l’intérieur du cadre tel qu’il est imposé, un tel individualisme a automatiquement des conséquences sur autrui. Autrement dit, avoir à l’esprit que dans cette UE à la fois autoritaire et ultra-libérale, simplement tenter de s’en sortir soi-même ne peut qu’impliquer de jouer des coudes en permanence, voire écraser les autres.

Bref, la compétition totale, la loi du plus fort – du plus riche en réalité –, la guerre de tous contre tous. Apparemment, ça convient à nombre d’entre nous. Certains prétendront même que “c’est la nature”, argument stupide par excellence, mais toujours pratique pour masquer son cynisme, son égoïsme, sa flemme congénitale ou sa lâcheté à assumer une idéologie pourrie facilement réductible à : « Chacun sa gueule, la mienne d’abord, et après moi le déluge ». Un déluge qui d’ailleurs pourrait se produire plus vite qu’on ne le croit, conséquence directe et déjà amorcée de ce capitalisme du désastre.

Pour les autres, toutes celles et tous ceux qui ont un peu plus de conscience politique qu’un bulot, qui possèdent encore quelques valeurs et/ou quelques scrupules, il est temps de réaliser la violence des attaques et des humiliations subies par les populations européennes, des ravages sociaux, humains, économiques et écologiques, présents et à venir, et d’en tirer les conséquences.

On peut voir ça et là les tenants d’une “refondation”, d’une “reconstruction”, d’une “réorientation” de l’Union. On peut lire ou entendre leurs appels, plus ou moins enthousiastes, et plus ou moins argumentés, pour “une autre Europe”. Ce à quoi s’opposent d’autres avis plus tranchés : la comédie a assez duré, il faut en finir une bonne fois.

De fait, de celui de de Rome à celui de Lisbonne en passant par celui de Maastricht, les traités européens en sont arrivés à ne plus laisser aucun choix : les états-membres qui en sont signataires doivent y obéir. Point barre. Et on a pris soin de graver dans le marbre de ces textes des dispositions qui jusque-là appartenaient à la délibération collective. On voit donc mal désormais comment on pourrait sérieusement prétendre “lutter de l’intérieur”. L’épisode grec notamment le démontre de façon la plus crue et la plus cruelle : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités», dixit Juncker. Nous faut-il un dessin?

Ce n’est plus la seule problématique monétaire vis à vis de l’euro qui est en débat, ni même la simple impossibilité d’une politique économique décidée à l’intérieur d’un pays (ne parlons même pas d’une politique sociale), et c’est encore moins la question de la paix en Europe, celle que l’UE prétendait garantir et dont on voit ce qu’il en est : fiasco. Non, c’est la question cruciale de la souveraineté populaire, qui n’a rien à voir avec les “nationalismes” et autres délires réactionnaires nauséabonds, mais qui en revanche à tout à voir avec – et au fond n’est rien d’autre que – la question de la démocratie.

Voilà ce qu’on est en train de nous voler morceau par morceau : la possibilité, démocratique, collective, populaire, libre – en fait, le droit, de faire des choix pour notre vie présente comme pour notre avenir. Et rien ne montre objectivement qu’il y a aura une fin à ce pillage. Sauf à trouver les moyens de le faire cesser.

Crédits photos:


Une réaction sur cet article

  • 14 juin 2016 at 12 h 30 min
    Permalink

    Bonjour les debout. L’Europe.. Vaste fumisterie, piège à crédules, perchoir à tartuffes, machine à recycler les incapables, usine à fabriquer des précaires, machine à ligoter chevilles et poignets. Haro sur les malades qui veulent nous gouverner, nous asservir..La commission de Bruxelles? Une caverne à canailles maléfique.. Maintenant que nous sommes avertis, nous reste à quitter ce machin, fuir à toutes jambes après l’avoir dynamité.. Suffit de le vouloir.. « Et cependant, Elle tourne.. » Salutations debout..

    Reply

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *