La fanzone Euro Tour Eiffel vue par une activiste de Nuit Debout

REPORTAGE. ÊTES-VOUS DEJA ALLÉ.E AU « VILLAGE SUPPORTERS » DU CHAMP-DE-MARS ? Moi oui, à l’occasion de l’action de blocage du McDonald temporaire installé près de la Tour Eiffel. Je dois avouer que mon bref passage sur la fanzone restera une des expériences les plus déplaisantes qu’il m’ait été donné de vivre.

Le rendez-vous est donné vendredi 10 juin à 17h, devant le fast-food. L’action est organisée par les Indignés de McDonald pour protester contre les bas salaires et les fraudes fiscales de la firme. Prévoyant un peu plus d’une heure pour entrer, j’arrive vers 15h50. La gendarmerie bloque l’accès et contrôle les accès encore plus rigoureusement que dans un aéroport : les bouteilles d’eau sont interdites, les tubes de crèmes solaires aussi, les sacs méthodiquement fouillés. Coincée sous la chaleur du soleil de juin, entre l’absence d’eau, les cris des supporters et les personnes se félicitant de la présence sécurisante des policiers, je lutte déjà contre une furieuse envie de vomir. Je ne suis pas au bout de mes peines ! Une fois palpée et fouillée méticuleusement pas une policière j’entre, vers 16h20, et passe le premier contrôle. J’arrive alors dans un dédale de barrières conduisant à un second contrôle, assuré par la sécurité du lieu cette fois, avec l’impression déplaisante d’être un mouton allant à l’abattoir.

Certes, avant même d’entrer, mon impression sur l’endroit est déjà faite, et je doute d’en changer. Je m’attends à une sorte de grand temple du consumérisme, avec des snacks, des boutiques souvenir et des stands publicitaires, le tout dans une ambiance alcoolisée et festive. Mais la réalité dépasse la fiction.

Je découvre une esplanade entièrement barricadée, cernée par des grilles de fer de deux mètres de haut, recouvertes d’affiches publicitaires. Les arbres, même les plus petits, sont clôturés, il n’y a pas le moindre chemin de traverse : tout est pensé pour qu’on ne sorte pas un seul instant des clous. Entre les barrières,  des  dizaines de  snacks – petites maisonnettes en bois façon marché de Noël. On y vend de la bière, des friandises et des sodas. Deux scènes temporaires sont installées. En émanent des chansons sans âme. Le volume est tel que devant l’une on n’entend même pas l’autre. Des employés, tonneau de bière sur le dos, déambulent sur l’esplanade, prêts à servir des pintes à 6,50€ toute personne qui n’aurait pas l’énergie, ou la patience, de franchir les 2m50 qui la séparent du snack le plus proche. Pas d’endroit où s’asseoir excepté par terre – ni chaise, ni banc, rien à moins de 90 décibels.

Quant au McDonald proprement dit, si je n’avais pas déjà vu le Champs-de-Mars, je ne lui aurais rien trouvé de temporaire. J’ai devant moi une grande construction équipé de 5 ou 6 comptoirs, pour faciliter les commandes, qui fait face à un grand parquet surélevé sans chaise ni table. Je suis choquée par une telle mise en scène, une telle débauche de dépenses.

Les policiers ont visiblement été avertis de notre action. Ils ne permettent à personne de rester à proximité du McDonald sans consommer. Une femme assise sur une jardinière se fait contrôler : on l’invite à partir. Après avoir repéré les lieux, je me mets assez vite en quête de camarades nuitdeboutistes avec qui partager mon désarroi et mon écœurement.

Je n’ai pas de mal à les retrouver : ce sont ceux qui regardent alentour d’un œil ahuri et découvrent que « les cons ça osent tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît » (Les Tontons flingueurs). Nous sommes une petite trentaine, déjà repérés par la sécurité, parqués dans un lieu complètement fermé et sous intense surveillance policière. Dès lors, deux évidences s’imposent à nous sans que nous ayons à nous consulter. D’une part, nous sommes trop peu nombreux pour mener une action efficace (aucune chance de tenir plus d’une ou deux minutes devant le McDonald). D’autre part, nous mènerons cette action jusqu’au bout, quoi qu’il en coûte : dans ce gigantesque temple de la consommation, dans cet outil d’abrutissement de masse, la seule issue est la résistance et nous allons nous y employer. A trente, à dix, à cinq, j’ai la conviction que nous allons mener cette action : plutôt virés que dociles !

Nous nous rapprochons donc en grappes et passons de fausses commandes. Les policiers sont par groupes de cinq, à chaque sortie et de part et d’autre des guichets. Notre signal pour passer à l’action est le slogan : « McDo, escroc, faut partager le magot ! »

Au premier slogan, les forces de l’ordre se regroupent autour de nous : en moins de trente secondes, nous sommes isolés, puis poussés sans ménagement vers la sortie. Aussitôt je comprends que nous n’avons qu’une ou deux minutes grand maximum pour nous exprimer. Nous nous mettons à crier le plus fort possible en jetant des tracts en l’air, même si nous sommes cernés par au moins trois rangées de gendarmes en équipement complet.  À part nous repousser  brutalement, ils ne font pas usage de la violence, il n’y a pas de blessés.

Nous restons nassés une heure à l’extérieur en continuant à crier des slogans et en espérant nous faire entendre depuis le McDonald derrière nous. Un responsable vient nous mettre devant un choix : quitter le « village supporters » ou aller au commissariat. Nous procédons à un vote et décidons de partir.

Je quitte la fan zone vers 19h, épuisée mais étrangement sereine.

Je n’aimais déjà pas le foot; maintenant je suis anti-Euro.

J’étais de gauche, maintenant je suis anticapitaliste.

On lâche rien.

MILENA.

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Crédits photos:

  • Euro 201 fans zone champs de mars: DR

Une réaction sur cet article

  • 15 juin 2016 at 8 h 39 min
    Permalink

    Merci pour ce compte-rendu, qui, s’il n’était pas si révélateur de l’incommensurable bêtise humaine et du consumérisme, aurait quelque chose de bien marrant.

    Personnellement je n’aurais même pas osé m’aventure dans ce temple à la gloire de la décadence. Chapeau !

    Et pour en finir avec Mc Gerbal : Ne mâchons rien !

    Reply

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