Nuit Debout est-elle le miroir de l’opinion publique française ?

SOCIOLOGIE – De quoi parle-t-on au rassemblement Nuit Debout et en quels termes ? Quelles questions, quels problèmes sont-ils susceptibles de faire l’objet de « débats » et avec quels enjeux ? Qui prend part à ces débats et dans le cadre de quelles stratégies ?

Telles sont les interrogations auxquelles mon intervention s’efforce modestement de répondre. S’il y a débat à Nuit Debout, il ne s’agit pas tant de donner accès à « l’opinion publique » française et à ses orientations, que de montrer comment s’articule un discours social, celui, contrasté, qu’une société tient sur elle-même, pour ainsi dire au jour le jour, en des lieux non autorisés, et par la voix d’individus ayant droit à la parole publique.

Témoignages plus que débats d’opinion, car la parole publique, la parole prise en public, est rarement transitive ; les témoignages font rarement « remonter » les choses véritablement dites dans la société. Ou, s’ils le font, c’est le plus souvent de manière attendue et entendue, dans ce que ces choses dites ont précisément d’illustratif d’une vérité qu’on connaissait déjà.

Les débats/témoignages traités à Nuit Debout sont une sorte de projection de la scène politique, effet de notre lecture de ces « débats », lecture qui privilégie, consciemment ou non, la recherche de lignes de clivage, d’enjeux disputés, et typologise les positions, bien souvent de façon binaire entre gouvernementaux/opposants, droite/gauche et gauche/gauche de la gauche, dominants/dominé.

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Double face, Nuitdebout, Place de la République, 44 Mars – Cyrille Choupas – DR

La place de la République est devenue, depuis presque 100 jours, le théâtre des luttes politiques, des conflits d’intérêts, voire de pures et simples stratégies de positionnement social ou professionnel qui ne peuvent avoir lieu et s’énoncer comme tels ailleurs, se transposent en témoignages, témoins des alignements et réalignements de leurs protagonistes et du déplacement des lignes de confrontation entre les positions en présence en fonction des enjeux en dispute.

Il s’agit d’une modalité du politique dans un contexte où le fait partisan est avant tout un fait de témoignages. Où distribuer un journal, un tract, constitue pour certains sur la place, l’essentiel de leur activité politique.

Une sorte de substitut au débat de société dans un contexte où l’alternance, où le partage du pouvoir, ne sont pas à l’ordre du jour.

Portrait 19
Nation, 40 Mars – Cyrille Choupas – DR

Il ne s’agit pas, encore une fois, de ce que pensent les Français — il est malaisé d’apprécier la façon dont le discours de Nuit Debout (des témoignages autorisés) « descend » dans l’opinion et dans la société pour y diffuser ses messages, et comment ceux-ci peuvent y être reçus — mais de la façon dont peut en être organisée l’expression.

La liste des débats/témoignages qui auraient pu être retenus pour donner corps à notre propos est proprement inclôturable, du fait de la relation qu’entretiennent l’émergence et l’extinction de ces « débats/témoignages » à l’actualité et à la conjoncture. Au-delà de la diversité, voire de l’éclectisme des objets dont ils traitent, ce qui nous paraît tout de même faire sens dans leur juxtaposition, fournissant une des clés possibles de leur lecture, c’est la façon dont leurs enjeux convergent dans ce que l’on pourrait désigner comme une macro-organisation du sens.

Atmane AGGOUN, Sociologue

Crédits photos:

  • Portrait 21: Cyrille Choupas /DR
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  • Portrait 12: Cyrille Choupas /DR

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