Feuilleton Debout #9. Ange tombe.
FEUILLETON DEBOUT – Le Feuilleton donnera la légende de la Nuit.
Ange allait arriver au niveau du rez-de-chaussée, quand l’ascenseur s’arrêta dans un noir total. Ange appuya avec anxiété sur tous les boutons, puis commença à frapper du poing celui de l’ouverture des portes . Un bruit de claquement se fit en haut. Des pas dans l’escalier à une grande vitesse. Puis une minute plus tard une porte en bas, juste sous lui. Un autre claquement et la lumière réapparut.
Ange ne pouvait plus rien.
L’ascenseur descendit d’un étage, puis s’ouvrit. La même femme, avec un revolver pointé sur Ange, l’attendait là, avec une sorte d’inquiétude farouche dans les yeux.
Seule différence : le revolver n’était plus le même, et un silencieux était vissé au bout de celui-ci
« -You make any sound, you make any move, and the elevator will drag you six floors beneath ground.
– Got it.
– Ima get into there and we gonna go up and talk upstairs. Move your dick and step back. You hear me ? »
Elle fît un pas dans l’ascenseur, le regard implacable, sans sourciller. Ange avait pâli, et ses mains s’étaient mises à trembler. Il commençait à soupçonner le camion glace d’avoir suivi l’ensemble de ses mouvements et d’avoir envoyé un tueur. Il regrettait d’avoir attendu toute l’après midi. Possiblement, Louis était mort assassiné chez lui à cause de tout ça.
Quel idiot, aller demander sur son lieu de travail où Louis pourrait résider. Quelle bêtise, il avait donc tout oublié de sa période dans la commission défense, où la gestion de l’intelligence et du renseignement était co-dirigée par lui.
La CIA n’avait du attendre que ça : un idiot qui se pointe à l’université pour ce genre d’information. Le bureau de la secrétaire devait être sur écoute. La secrétaire elle-même était peut-être dans le coup. Plus probablement, les agents devaient carrément avoir cessé d’espérer que quelqu’un serait assez con pour y aller. Ange se demandait comment il avait pu être assez naïf pour croire que plus de 20 ans suffiraient pour que la Nuit Debout ait été oubliée.
Ces gens-là avaient trop fréquenté les systèmes informatiques : ils n’oubliaient pas, ou ne pouvaient pas se permettre le doute : la trace qui allait avec l’oubli. Il fallait supprimer pour oublier. Sans éradication totale, un scan permanent empêchait leur système d’être tranquille.
Il fallait qu’on ne puisse pas se rappeler pour oublier : ce n’était pas de l’oubli, c’était faire qu’une chose n’ait jamais existé, la retirer de l’ordre du monde. La Révolution devait être retirée du monde.
Ange analysait les yeux de la femme. Il était difficile de dire si ce qu’ils exprimaient étaient une forme d’anxiété ou de rage sourde. Elle guettait vraiment ses gestes, et avait le doigt serré, sans trembler, sur le petit arceau de métal lisse. Ses cheveux étaient finement brossés, mais contrastaient avec une peau non lavée depuis quelques jours. Pas de trace de maquillage sur son visage. L’espace réduit qui courait de ses sourcils à son menton, contrastait avec un front large, qui faisait une impression de gravité désagréable. Ses lèvres pendaient légèrement en dessous de la ligne des commissures. Sa moue était entièrement négative, et Ange se demanda si son visage pouvait quitter cet état.
La montée se fit dans un silence sordide. En haut, elle envoya un signe sec avec le revolver pour lui indiquer de sortir de la cage, sans dire un mot. Ange s’exécuta et alla se poster à côté du pot de fleur, resté là. Elle, tournant le bouton de porte avec la main gauche, tenant l’arme dans celle de droite, et sans le quitter de ses prunelles énervées. Le même signe sec, pour entrer dans l’appartement. Une porte à gauche dépassée, ils débouchèrent directement dans un salon entièrement dénudé. Pour seuls meubles : trois chaises et une table basse. Sur les murs, rien d’autre qu’une horloge arrêtée. A peine entré, Ange entendit de nouveau ce chuintement de tout à l’heure, fort et presque sifflant. Il ne parvint pas immédiatement à le localiser. La femme fouilla sous la table basse, en sortit une corde large qu’elle lui lança.
« -You going to tie yourself up with this. And then turn your back on me and sit the fuck down ! »
Il s’exécuta, rentra ses mains dans les boucles par derrière lui, puis se tourna et s’assit par terre. La dernière chose qu’il sentit, ce fût la boucle se serrer. Puis un grand coup derrière la tête. Il perdit connaissance.
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Crédits photos:
- Collages_2_3: Stéphanie Pouech / DR
- Collages_2_5: Stéphanie Pouech / DR