Joly / Juncker : Al Capone fait la loi en UE

TRIBUNE — Par Bob Solo

La députée européenne Eva Joly publie Le loup dans la bergerie – Jean-Claude Juncker, l’homme des paradis fiscaux placé à la tête de l’Europe. Ce n’est évidemment pas pour décerner un prix Nobel à l’ancien ministre des finances et du fisc, puis premier ministre, luxembourgeois.

Le voilà désormais président de la Commission européenne, surnommé Al Capone. « Et on ne croit pas à une justice où Al Capone dirige la Cour d’Assises », ironise l’ancienne magistrate au cours d’une interview sur Europe1. Et pour être encore plus claire, elle envoie du lourd : « Le Luxembourg a vendu sa souveraineté et permet aux entreprises de payer très peu d’impôts. C’est réellement du vol de produit fiscal au détriment des pays où la plus-value est produite ». Il s’agit de la pratique – légale – des tax rulings, accords fiscaux secrets entre gouvernements et multinationales.

Les i ayant toujours besoin de points et les t de barres, elle enchaîne : « Ils n’ont qu’une mono-industrie, et ce n’est pas la place financière. C’est la fraude fiscale ». Précisant qu’à la différence de l’Angleterre ou des Pays-Bas, le Luxembourg ne vit « que de ça ». Et ça arrange “tout le monde” : « Tous les chefs d’État savent ce qui se passe, tout le monde se sert du Luxembourg depuis les années 50 pour contourner les réglementations. La France l’a utilisé pour les rétro-commissions sur les contrats d’armement ».

En toute impunité, dénonce encore la députée : « Ça fait 40 ans que la criminalité économique n’est pas punie. L’élite mondiale, dans tous les domaines, capture illégalement de la richesse et la cache dans les paradis fiscaux. Il ne serait pas possible de blanchir les fonds de la corruption si l’on ne pouvait pas ouvrir ces sociétés à travers les banques du Luxembourg. Un quart des sociétés des Panama Papers a été ouvert à la demande d’une banque luxembourgeoise. C’est criminel et ça permet à une élite de ne pas payer d’impôts ».

S’il ne fait pas de révélations fracassantes, le bouquin a le mérite de refuser de laisser se normaliser une situation totalement scandaleuse. Et d’interroger sur des pratiques plus que douteuses : « Comment a-t-on pu placer à la tête de l’Union européenne celui qui incarne le cynisme des paradis fiscaux ? L’homme n’est pas sorti du chapeau un beau matin. Il a une histoire et une œuvre politiques. Affable et humaniste en public, il est en coulisses le protecteur de l’opacité et des arrangements occultes. Au Luxembourg, l’hyper-classe financière dicte sa loi. La politique est soumise aux lobbies et la souveraineté se monnaie au plus offrant. Telle est sa pratique politique ».

Le tout puissant président Juncker semble donc avoir fait sienne la philosophie du célèbre chef mafieux de Chicago selon laquelle « on obtient plus avec un sourire et un flingue qu’avec seulement un sourire ». Il fait la loi aujourd’hui dans l’UE comme autrefois dans son propre pays. Et “Al Capone” ne prend pas de gants : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». La phrase est tombée en 2015 comme un couperet définitif, pour soumettre la Grèce d’abord, mais aussi pour “prévenir” toute l’Union.

Y compris la France, bien entendu, qui « souffre d’un manque de réformes dites structurelles, de réformes qui portent sur l’essentiel » et « doit soigneusement examiner les faiblesses de son droit du travail » (coucou El Khomri !). Le catéchisme néolibéral habituel. Avec son dogme ultime : « Il n’y a pas d’autre remède que de la consolidation budgétaire » (There is no alternative). Et les menaces idoines : « Un pays ne peut pas échapper aux sanctions s’il ne respecte pas les règles ». Le respect des règles, venant de sa part…

Mais Juncker dort tranquille. Concernant le scandale de l’évasion fiscale à taille industrielle révélé par les Luxleaks, il a eu ce commentaire : « Ce n’est pas moral, ce n’est pas éthique, ce n’est pas loyal [envers les autres pays], mais c’est légal ». De plus, le parlement européen vient de voter la directive dite “secret des affaires”. Champagne !

En revanche, le lanceur d’alerte Antoine Deltour actuellement en procès au Luxembourg risque entre 5 et 10 ans de prison ferme.

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Le livre

L’interview

Crédits photos:

  • Lanceurs d’alerte 3: Nuit Debout / DR

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