Lettre-type à envoyer à l’INPI pour que Nuit Debout ne devienne pas un produit commercial

NON A LA RÉCUPÉRATION COMMERCIALE (qui est précisément ce que Nuit Debout condamne).  Suite à l’article que nous avions avons fait paraitre  Nuit Debout ne doit pas devenir une marque commerciale, nous avons reçu de nombreux commentaires demandant explicitement comment s’y prendre pour barrer la route à ceux tentés de se saisir du nom pour en faire on ne sait quoi. Gazette Debout a alerté #AvocatsDebout qui nous fournit ici une lettre type a adresser à l’INPI. Il ne vs reste plus qu’à copier-coller-imprimer-signer-envoyer en recommandé. 

V/Réf. :

  • Demande de marque « NUIT DEBOUT » n° 16 4 264 740 déposée le 14 avril 2016 au nom de la société CAMERA SUBJECTIVE SARL et publiée le 6 mai 2016 au B.O.P.I. n°2016/18.
  • Demande de marque « NUIT DEBOUT » n° 16 4 266 441 déposée le 20 avril 2016 au nom de Monsieur Rudolph AKUESON et publiée le 13 mai 2016 au B.O.P.I. n°2016/19.
  • Demande de marque « NUIT DEBOUT » n° 16 4 267 068 déposée le 22 avril 2016 au nom de Madame Magali BECKER et publiée le 13 mai 2016 au B.O.P.I. n°2016/19.

Objet :  Observations sur le fondement de l’article L. 712-3 du Code de la propriété intellectuelle à l’encontre de l’enregistrement des demandes de marque verbale « NUIT DEBOUT » n° 16 4 264 740, 16 4 266 441 et 16 4 267 068.

Monsieur le Directeur,

J’ai l’honneur de vous adresser, sur le fondement de l’article L. 712-3 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), les présentes observations à l’encontre de l’enregistrement des demandes de marque française verbale « NUIT DEBOUT » citées en références.

Je me permets d’attirer votre attention sur le fait qu’aucune de ces trois demandes de marques ne remplit les conditions requises pour être valablement enregistrée.

« Nuit Debout » est un mouvement de société sans précédent, impulsé par des citoyens de tous horizons, sans affiliation ni obédience politique, syndicale ou idéologique quelconque, fonctionnant sans leader ni porte-parole selon un système démocratique participatif, qui a été initié le 31 mars 2016 par la décision d’occuper la place de la République à Paris en signe de protestation contre la politique menée par le gouvernement français, et qui se matérialise depuis cette date par un ensemble de manifestations en France et dans le monde.

Je joins à toutes fins utiles au présent courrier un échantillon d’extraits de sites Internet et articles de presse rapportant l’historique de ce mouvement et faisant état de son ampleur considérable: plus de 80 grandes villes en France et plusieurs dizaines d’autres en Europe et dans le monde.

[Insérer ici un paragraphe de quelques lignes comprenant une brève présentation personnelle, destinée à décrire votre lien avec Nuit Debout ainsi que votre implication personnelle dans le mouvement ou votre intérêt pour celui-ci. Si possible, joindre au courrier tous documents permettant de justifier de votre implication dans le mouvement. Exemple: « Avocat au Barreau de Paris, j’ai participé au mouvement Nuit Debout dès son lancement le 31 mars 2016, et me suis depuis lors directement impliqué dans cet élan en participant notamment au collectif « Avocats Debout » institué dans le cadre de Nuit Debout, qui a vocation à proposer des consultations juridiques gratuites aux personnes se trouvant en situation de précarité juridique ».]

J’ai récemment constaté la publication au Bulletin Officiel de la Propriété Industrielle des trois demandes de marque « NUIT DEBOUT » citées en références.

Or, en application des articles R. 712-10, 2°) et L. 712-7, b) CPI, ces demandes d’enregistrement doivent être rejetées en intégralité dès lors notamment que le signe déposé « NUIT DEBOUT »:

  • n’est pas apte à constituer une marque au sens des articles L. 711-1 et L. 711-2 CPI, dans la mesure où, en raison de son usage très répandu, il n’est pas apte à distinguer des produits ou services et donc à exercer la fonction d’une marque (1), et
  • ne peut être adopté comme marque en raison du fait qu’il est contraire à l’ordre public, au sens de l’article L. 711-3 b) CPI (2).
  1. Le signe « NUIT DEBOUT » n’est pas apte à constituer une marque au sens des articles L. 711-1 et L. 711-2 CPI

L’article L. 711-1 CPI prévoit :

« La marque de fabrique, de commerce ou de service est un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale. […] »

Il ressort de ce texte que pour être apte à constituer une marque, un signe doit permettre aux consommateurs d’identifier l’origine industrielle ou commerciale des produits ou services auxquels il a vocation à s’appliquer.

La Cour de justice de l’Union européenne a, en effet, posé le principe selon lequel la fonction première et essentielle d’une marque réside dans son aptitude à indiquer l’origine de produits ou services, et ainsi à permettre aux consommateurs de distinguer lesdits produits ou services de ceux offerts par les autres opérateurs économiques:

« la fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit marqué, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit de ceux qui ont une autre provenance. » (CJCE 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche c. Centrafarm, aff. 103/77, pt. 7).

Par ailleurs, l’article L. 711-2, alinéa 1er CPI prévoit que :

« Le caractère distinctif d’un signe de nature à constituer une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés. »

Selon un principe constant en jurisprudence, le caractère distinctif d’une marque s’apprécie :

« par rapport, d’une part, aux produits et services pour lesquels l’enregistrement de la marque a été demandé, et, d’autre part, à la perception des milieux intéressés, qui sont constitués par les consommateurs desdits produits et services. Il s’agit de la perception présumée d’un consommateur moyen des produits ou services en cause, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé » (CJCE 12 février 2004, Henkel c. Deutches Patent und Markenamt, aff. C-2018/01, pt. 50).

En application de ces principes, il est admis que n’est pas apte à constituer une marque, en raison d’un défaut de caractère distinctif, une dénomination utilisée par une large partie du public dans des conditions ne permettant pas aux consommateurs moyens, raisonnablement attentifs et avisés, de la percevoir comme susceptible d’identifier l’origine de produits ou services d’un opérateur économique (v. notamment Cass. com. 27 octobre 1992, n° 90-19511).

C’est sur ce fondement que vous avez récemment été amené à refuser l’enregistrement de demandes de marques « JE SUIS CHARLIE » sous diverses formes (v. communiqué de l’INPI du 13 janvier 2015), en ayant égard à deux facteurs:

  • d’une part, l’utilisation large de ce signe dans la collectivité dans les jours ayant précédé les dépôts des demandes d’enregistrement en cause, à la suite de l’attentat du 7 janvier 2015 dans les locaux du journal « Charlie Hebdo »;
  • d’autre part, la perception des consommateurs en résultant, ces derniers n’étant pas susceptibles de percevoir le signe comme susceptible d’exercer la fonction essentielle d’une marque, à savoir identifier l’origine de produits ou services d’une entreprise quelconque et distinguer lesdits produits ou services de ceux d’autres opérateurs économiques.

Le même raisonnement doit être suivi en l’espèce, s’agissant du signe « NUIT DEBOUT » constituant les trois demandes d’enregistrement contestées.

En effet, il est constant que ce signe:

  • a été utilisé de manière massive dans les média et par l’ensemble du public français pour désigner le mouvement social et citoyen précité, ainsi qu’en attestent les pièces produites à l’appui du présent courrier, et ce depuis le 31 mars 2016, soit dans les semaines qui ont précédé les dépôts des demandes d’enregistrement en cause;
  • est unanimement et exclusivement perçu au sein du public français comme le nom dudit mouvement, de sorte que les consommateurs des produits et services des classes 5, 9, 16, 25, 35, 38 et 41 visés dans les trois demandes de marque citées en référence, ne sont nullement susceptibles de percevoir ce signe comme identifiant l’origine de produits ou services d’une entreprise et/ou distinguant lesdits produits ou services de ceux d’autres opérateurs économiques.

A cet égard, le fait que le mouvement « Nuit Debout » soit notoirement connu au sein du public français comme n’étant le fait d’aucun parti, lobby ou association quelconque, mais au contraire comme un élan citoyen refusant toute récupération ou revendication de quelque origine que ce soit, rend d’autant moins probable la perception du signe en cause par les consommateurs comme renvoyant à un opérateur économique individualisé.

Le signe « NUIT DEBOUT », identifié au sein du public français comme un mouvement de société d’origine plurielle, n’est pas susceptible d’exercer la fonction essentielle d’une marque.

Pour ce motif, le signe « NUIT DEBOUT » constituant les demandes n° 16 4 264 740, 16 4 266 441 et 16 4 267 068 n’est pas apte à constituer une marque au sens des articles L. 711-1 et L. 711-2 CPI. Ces demandes d’enregistrement devront en conséquence être rejetées.

  1. Le signe « NUIT DEBOUT » ne peut être adopté comme marque en application de l’article L. 711-3 b) CPI

L’article L. 711-3 b) CPI prévoit :

« Ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe : […] b) Contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, ou dont l’utilisation est légalement interdite. »

C’est sur ce fondement que vous avez rejeté l’enregistrement d’une demande de marque verbale « LES SANS DENTS », par un projet de décision du 26 mars 2015 devenu définitif. Les motifs de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 26 février 2016 ayant rejeté le recours formé à l’encontre de votre décision sont éloquents :

« que [la titulaire de la demande d’enregistrement] entend se voir attribuer un droit privatif sur un signe qui ne peut être adopté que s’il satisfait aux exigences requises par le législateur au Livre VII du code de la propriété intellectuelle ;

 Qu’en se plaçant au jour où la demande d’enregistrement a été déposée (soit 4 jours après la parution de l’ouvrage dont s’agit) alors que la polémique, largement relayée par la presse, battait son plein et en retenant que les produits et services, de consommation courante, visés par la demande d’enregistrement sont destinés au grand public, il y a lieu de considérer que le signe demandé à l’enregistrement ne pouvait être perçu autrement que comme une référence au propos dégradant prêté au chef de l’Etat, contrairement à ce que prétend Madame Cozic qui invoque la possibilité qu’il puisse être compris comme désignant les nourrissons ou des personnes dépourvues d’agressivité ou encore ne souriant jamais ;

 Que parmi ses diverses acceptions, l’ordre public vise à réguler les comportements portant atteinte à l’ordre social et que si la requérante se prévaut du nécessaire respect de la liberté d’expression, son exercice peut être soumis à des restrictions s’il apparaît qu’il est porté atteinte à cet ordre social ;

 Qu’en déposant, qui plus est, une demande d’enregistrement de ce signe destiné à être apposé sur les produits ou services qu’il désigne ou à les accompagner afin de se voir octroyer le bénéfice de la protection accordée par le droit des marques, Madame Cosic doit se voir opposer les dispositions légales précitées ;

 Qu’à cet égard, ressortent de l’ordre public tant la préservation de l’Etat et de ses institutions que le respect des lois pénales qui répriment les atteintes portées à l’honneur et à la considération des personnes ainsi qu’à leur dignité, tout comme les comportements discriminants ;

 Qu’en contemplation du contexte particulier du cas d’espèce ci-avant évoqué, le signe « les sans dents » dont Madame Cosic poursuit l’enregistrement à titre de marque sera perçu non point, selon sa fonction essentielle, comme un indicateur de l’origine des produits et services qu’elle désigne mais comme une incitation à contrevenir à des principes essentiels au bon fonctionnement de la société ou comme une offense pour une partie du public concerné ;

 Qu’il s’infère de tout ce qui précède que le recours de Madame Cosic doit être rejeté. »

 (CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 26 février 2016, RG n°14/20555, Fabienne Crosic / Monsieur le Directeur de l’INPI)

Par ailleurs, c’est sur ce même fondement que vous avez, plus récemment encore, été amené à refuser l’enregistrement de demandes de marques « PRAY FOR PARIS » ou « JE SUIS PARIS » ou leurs variantes sous diverses formes. Ce faisant, vous avez rappelé que:

« ces marques sont composées de termes qui ne sauraient être captés par un acteur économique du fait de leur utilisation et de leur perception par la collectivité au regard des événements survenus le vendredi 13 novembre 2015″ (communiqué de l’INPI du 20 novembre 2015).

En l’espèce, l’enregistrement comme marque du signe « NUIT DEBOUT » constituant les trois demandes d’enregistrement contestées apparaît également contraire à l’ordre public.

En effet, il est constant que ressort de l’ordre public le respect des lois et des principes fondamentaux qui garantissent la liberté d’expression et le pluralisme des idées.

Or, comme le font apparaître les documents annexés au présent courrier, « Nuit Debout » est un élan citoyen d’une nature et d’une ampleur inédites, caractérisé notamment par une construction sur un mode participatif visant à ce que chacun se réapproprie la parole et l’espace publics.

Dans ces conditions, l’appropriation de la dénomination « NUIT DEBOUT » par un ou plusieurs opérateurs économiques n’apparaît pas compatible avec le respect du pluralisme et de la liberté d’expression, dès lors que l’exercice de droits privatifs sur une marque « NUIT DEBOUT » serait susceptible d’entraver de manière significative l’expression d’idées et plus largement toutes les actions qui pourraient être menées dans le cadre du mouvement précité.

En considération du contexte social particulier et du fait que les demandes d’enregistrement en cause ont été déposées alors que le mouvement « Nuit Debout » cristallise le débat public depuis plusieurs semaines, il apparaît indispensable pour le respect des principes d’ordre public que sont la liberté d’expression et le pluralisme des idées, que la dénomination « NUIT DEBOUT » ne puisse faire l’objet d’une captation quelconque.

Dans une affaire similaire, le rejet de la demande de marque « NON A LA TURQUIE EN EUROPE » avait été prononcé au motif que la marque ainsi déposée n’avait « pas pour finalité de distinguer les produits et services d’une entreprise de ceux d’une autre afin d’en garantir au consommateur l’identité d’origine, mais d’instaurer au profit de l’association […] un privilège d’exploitation purement politique sur l’emploi de ce signe ». La Cour d’appel de Paris avait en outre relevé que le demandeur à l’enregistrement avait cherché « à se voir accorder, par un détournement du droit des marques, un droit privatif sur l’un des termes de ce débat » (CA Paris, 4e ch. A, 9 juin 2004, RG n° 2004/06406, Mouvement pour la France / Monsieur le Directeur de l’INPI).

Les mêmes motifs commandent en l’espèce de rejeter les demandes d’enregistrement contestées.

La captation du nom d’un mouvement de société, à des fins mercantiles et pour désigner des produits et services de consommation courante, ne saurait être conforme aux principes régissant une société démocratique.

L’enregistrement du signe « NUIT DEBOUT » apparaît ainsi contraire à l’ordre public au sens de l’article L. 711-3 b) précité CPI.

Pour les motifs qui précèdent, le signe « NUIT DEBOUT » constituant les demandes d’enregistrement n° 16 4 264 740, 16 4 266 441 et 16 4 267 068 ne peut être adopté comme marque au sens de l’article L. 711-3, b) CPI. Ces demandes d’enregistrement devront en conséquence être rejetées.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de ma considération distinguée.

[Ville], le [date] 2016

                                                                        [Nom, signature, et cachet si applicable]

Lettre à adresser à

A l’attention de Monsieur le Directeur

15, rue des Minimes CS50001 92677 Courbevoie Cedex

Par courrier recommandé avec accusé de réception OU Dépôt en ligne sur le site Internet de l’INPI: cf. https://www.inpi.fr/fr/services-et-prestations/autres-demarches

AVOCATS DEBOUT

Pour en savoir d’avantage sur le risque que court  #NuitDebout à devenir un produit commercial, lire l’article de 20 minutes en cliquant ici

 

 

Crédits photos:

  • Logo INPI: INPI

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