Et la violence d’État, on en parle ?
TRIBUNE. À l’heure où une opération “tourniquets ouverts“ dans le métro rennais aboutit à la qualification d’ “association de malfaiteurs“ par le parquet, il nous a paru nécessaire de qualifier les violences institutionnelles auxquelles répondent les jeunes indignés, syndicalistes et autres Nuit Debout. Vaste chantier.
En ce matin du 24 mai 2016, François Hollande donne une leçon d’histoire aux Français au micro de France Culture, radio d’État, dans l’émission “La fabrique de l’Histoire“. L’homme s’affiche serein, les blocages en cours « sont fondés par une minorité ». Il peut prendre du recul, remonter à Henri IV, Napoléon… Faisons de même, prenons du recul. Un peu moins quand même, nous n’avons pas la hauteur du président de la République.
Violence politique, fautes morales
En 2009, Sarkozy déclare : « Désormais, quand il y a une grève en France personne ne s’en aperçoit ». En 2010, des millions de gens battent le pavé contre la réforme des retraites, durant des semaines, sous fond de grèves locales dispersées. Résultat nul. Quand les gens descendent en masse dans la rue, appuyés par une opinion publique ultra-majoritaire, le pouvoir ne les écoute plus. Le droit de grève est médiatiquement dissout dans le mécontentement des usagers. De son côté, le “normal“ président Hollande ne se contente pas de délaisser ses promesses de campagne. Il en prend l’exact contre-pied.
Par la déchéance de nationalité, qui va l’encontre des principes humanistes élémentaires, Hollande insulte la gauche et au-delà, et pollue le débat parlementaire.
Ses propos véhéments (« notre ennemi c’est la finance ») se traduisent par le placement des ministres les plus libéraux du PS : Jérôme Cahuzac au Budget, Pierre Moscovici à l’Économie et aux Finances. Le mensonge n’est pas de circonstance, il confine à la préméditation.
L’argument d’ « impuissance » face à la pression européenne et mondiale est balayé par la Grèce de Syriza. C’est à l’issue d’une âpre lutte contre la troïka qu’Alexis Tsipras jette l’éponge. Le ministre des Finances Yanis Varoufakis prouve par sa démission et ses idées, qu’il avait été choisi pour sa combativité, et non pour son allégeance aux doctrines néolibérales. Cahuzac se révèle Panama-compatible, et Moscovici devient en 2014 commissaire aux Affaires économiques et financières au service d’une Europe vassale de la Finance.
Mais le mensonge est également proféré les yeux dans les yeux. En 2011, Hollande s’adresse au syndicaliste Mickaël Wamen, en lutte contre la délocalisation de son usine GoodYear : « Si je suis élu, je ferai voter une loi pour que, dans les grands groupes qui font des profits […], on n’arrive pas à une situation comme la vôtre ». 2016 : la Loi Travail étend les possibilités de licenciement pour les entreprises rentables…
Dernière étape (avant la suivante) : quand les députés contestent une loi majeure, nos gouvernants dégainent le 49-3. Le débat ne se fera ni dans la rue, ni au Palais Bourbon.
Menaces verbales, violences policières
La séquence Sarkozy, ministre de l’Intérieur dès 2002, président de 2007 à 2012, n’est pas moins destructrice. Prise à parti des « racailles », nettoyage « au Kärcher », Sarkozy met au défi des populations entières, de manière frontale. Les gamins des “quartiers“ prennent ces invectives en pleine face. La mort de Zyed et Bouna, poursuivis sans raison valable par des policiers, déclenche la révolte des quartiers dans toute la France en 2005.
En 2007, durcissement de la loi contre les mineurs délinquants, qui auront le droit à la prison dès 16 ans, comme les adultes.
Contrôles au faciès, morts suspectes dans les commissariats jamais élucidées… pour toute une frange paupérisée et stigmatisée de la population française, la coupe est pleine, depuis longtemps. Le collectif “Urgence, notre police assassine“, très présent à Nuit Debout, en dresse un tableau précis.
Sarkozy, l’homme politique exemplaire, finira avec autant de casseroles judiciaires qu’une « racaille » de haut rang. La souplesse institutionnelle permet à ses adducteurs de résister au grand écart. Le Français de base, lui, est moins souple ; il a encore des principes. Ses enfants, au mieux, s’indignent.
La politique migratoire fait le reste. En 2016, les mineurs isolés, de Calais à Paris, courent les rues à la recherche d’un toit, « au pays des droits de l’homme ».
Violence sociale
Ce n’est pas fini : l’état employeur diffuse les méthodes managériales du privé dans les services publics. Les infirmières et infirmiers quittent l’hôpital au bout de 7 ans en moyenne. Pourquoi ? La politique du chiffre s’applique désormais au traitement des malades. Épuisement physique, délabrement mental des professionnels de santé; maltraitance induite des patients.
Côté école, la commission Éducation Debout publie un manifeste qui débute ainsi : « Le système éducatif français est à l’image de la société qui l’a construit : violent et inégalitaire […] Violent car cette reproduction, le tri et le dressage qu’elle opère, sont oppressifs pour les élèves de la maternelle à l’université. » Impossible de dresser une liste exhaustive. Traiter des méfaits de la France en Afrique, question prégnante à la Nuit Debout, serait trop long. Pourtant, de nombreux Français en ont les tripes nouées.
Réception du panel de violences
L’énumération des violences étatiques n’en finit pas, leur intensité est étourdissante. Selon leurs vécus et origines sociales, les individus perçoivent inégalement l’une ou l’autre de ces violences. Mais peu d’entre eux sont indemnes. La question ici n’est pas de discuter la légitimité des violences perpétrées par certains manifestants. La perception aiguëe du danger qu’il y a à laisser les institutions dériver selon des forces systémiques destructrices (pour nos vies, pour notre environnement), et le sentiment d’impuissance qui en découle, brouillent les frontières. Le citoyen intimement non-violent ne va pas basculer d’un coup vers l’action violente. Mais ces derniers temps, le degré de tolérance envers ceux qui font l’autre choix s’est accrue. Parmi les jeunes notamment, cette tolérance a même pris l’aspect d’une certaine solidarité, au sein des manifestations
Les jeunes lycéens et étudiants n’ont connu de la société que les violences restituées dans cet article (ajoutons-y tout de même la crise climatique et le terrorisme). À peine s’exprimaient-ils dans la rue – droit démocratique de base – qu’ils récoltaient gaz lacrymogènes, matraques, flash-balls, coups bas, interpellations, gardes à vue. L’intimidation policière et judiciaire monte en puissance, on l’a vu dans le cas de Rennes. La défiance qui en a résulté en a probablement fait basculer certains dans la confrontation directe.
Les discours modérateurs sont nombreux lors des AG de Nuit Debout : la violence se doit d’être un dernier recours, elle est généralement contre-productrice pour le mouvement, surmédiatisée… Mais ces paroles ne jugent pas, ne sont pas moralisantes, ne cherchent pas à infléchir le choix des camarades. De tels propos rationnels n’ont pas d’effet, on le sait. Le problème tient à sa source : la violence institutionnelle, et à l’un de ses acteurs principaux, l’État ; le “privé“ y tient toute sa part, de manière plus diffuse, ainsi que nous tous qui prenons notre part aux institutions, à des degrés divers.
Malheureusement, la criminalisation du mouvement social semble le seul recours de ce régime républicain à l’agonie. Et il n’y a rien de tel pour développer le sentiment d’injustice.
MARK.
Crédits photos:
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