Photos Debout : les visages des manifestants par Cyrille Choupas

PHOTOS DEBOUT – Dans la lignée des Doisneau, à la croisée de ce qu’on nomme dorénavant la « Street Photographie », ce travail de reportage renoue avec mes anciennes amours, à savoir la photographie comme instantané.

D’un point de vue esthétique, j’ai voulu m’écarter des clichés dépeignant une jeunesse brandissant banderoles et autres slogans remplis de légèreté. Abandonner l’idée de rendre compte du nombre de ces défilés interminables, ne montrant rien en voulant tout montrer.

Faire un pas de côté, telle est au contraire ma démarche, ne plus saisir une foule illisible, mais tout un récit porté simplement par des visages, des situations. D’un point de vue politique, s’il y en a un, serait de sortir des clichés que l’on peut voir des manifestations. De lutter à mon échelle, avec l’arme qu’est la photographie pour déconstruire cet imaginaire. De faire un travail d’images contre images : ici, un regard social tentant de ré-humaniser, ré-individualiser ce qu’on appelle médiatiquement « un manifestant, un casseur » lui ôtant par la même toute individualité.

Essayer par le pouvoir de l’image, et en particulier du portrait, de rendre une consistance, une réalité à ces visages de manifestants, et donc en filigrane à ces événements. Qu’est-ce que la photographie de reportage ? Repérer les regards, les comportements, prévoir, anticiper les situations qui se construisent sous nos yeux pourtant aveugles à l’avenir.

Une sorte de mélange entre aléatoire et prémonition, créant parfois ce moment magique que certain nomme le « kairos », cette « opportunité ». Moment de grâce, où l’instinct devient réfléchi, où l’avenir proche est comme déjà présent. Instant hors temps dont les parties encore éparses s’agencent sous nos yeux devenus à la fois acteur et spectateur où l’informe se fait tableau.

Mais, pour être un peu plus prosaïque, cela pourrait se comparer à l’activité qu’est la chasse. Le doigt sur la gâchette de mon déclencheur, le point encore tremblant, là, me dissimulant au regard de l’autre, tapis derrière un quidam… Je le vois, lui non… Il est à distance respectueuse de mon 60mm… J’attends… J’attends le moment propice… Enfin, je prends ma respiration, lève l’appareil jusqu’à mon œil, me retourne… Je suis à découvert… Il est dans mon viseur… Il est pris par son action, son histoire, il est en lui même… J’attends encore quelques secondes, que le tableau se forme… Ça y est… Du moins je crois… À demi aveugle, je tire… « Clac ! Clac ! » L’obturateur qui mitraille sous les pétarades des lacrymogènes et autres grenades assourdissantes. Là, il m’aperçoit enfin du coin de l’œil « Clac ! Clac ! ». C’est dans la boîte ! J’abaisse l’appareil, nos regards se croisent pour la première fois, il est encore médusé par ce qui vient de lui arriver… un moment d’indécision réciproque, comme flottant… Lui : « Qu’est-ce qu’il m’a fait ? M’a t-il volé mon âme avec son spectrogramme numérique ? Le salaud ? Un RG ? »

Je lui donne, pour toute réponse à ses interrogations internes, un sourire entendu, détendant cet acte qui – il faut bien l’avouer – comporte une certaine violence, comme une mise à nu par mon regard impudique. Si jamais le doute subsiste, je double ce regard complice par un « Mais vous êtes beau » usant de la flatterie pour caresser l’ego sûrement froissé de ma victime, je disparais alors dans la jungle de cette foule opaque à la recherche de ma prochaine proie….

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