Théâtre : « L’âme rongée par de foutues idées »

THEATRE – Gazette Debout a été invitée à la Manufacture des Abbesses pour assister à la représentation de « L’âme rongée par de foutues idées », une pièce écrite et mise en scène par Guillaume Lambert et qui devait nous intéresser « tant elle résonne avec le mouvement Nuit Debout ». 

L'ame rongée par de foutues idées

La salle est plongée dans la pénombre; une femme, seule sur scène, déplace fiévreusement des papiers. Certains sont éparpillés dans les travées, ce sont des tracts, des articles de presse, des discours. La sono crache des bouts d’interviews, de débats, de pensées politiques. Nous sommes comme plongés dans cette âme rongée, dans l’esprit torturé du militant éclairé.

Le verbe vient ensuite, dans un éloge de l’homme providentiel dont rêve la France et sa Ve République, en l’occurrence Ducastelli, président fictif à mi-chemin entre De Gaulle et Hollande. Mais cette femme toujours seule, qui passait un entretien pour entrer au cabinet du conseiller Macquart, nous l’avoue très vite : elle est là pour infiltrer le pouvoir qui, ensuite, l’envoie infiltrer l’AG des étudiants de l’Université. Elle est donc agent double, ou triple puisque nous ne saurons jamais vraiment pour le compte de qui elle travaille; elle est au plus près du pouvoir et des manifestants, du public et du texte, elle jaillit, elle vacille, elle doute, elle s’enflamme, elle est l’ange de la révolte.

Elle sera le fil rouge de ce thriller politique, qui nous emmène des amphis de l’Université aux salons du Palais présidentiel en passant par les pavés des manifestations, du cœur de la révolte à son enlisement, du souvenir de Mai 68 et des premiers jours de Nuit Debout à l’horizon du changement, à cet instant où tout est possible, où personne ne peut prédire ce qui se passera, où « le seul obstacle, le seul juge, c’est nous-mêmes ».

Comme l’auteur et metteur en scène de ce seul-en-scène, Guillaume Lambert, me le rappelle à la sortie de la représentation, l’Histoire bégaie; aussi sa pièce n’est-elle pas contextualisée. On pense évidemment à Mai 68 et à Nuit Debout, mais on pourrait tout aussi bien être dans la Tunisie du Printemps arabe,  l’Italie des Années de plomb ou la Grèce des années 60 qui inspira Z à Costa-Gavras, car la révolte, dans le monde moderne, suit toujours le même schéma. Les étudiants qui croient encore à la démocratie débattent, les autres montent des barricades pour affronter la police ; les politiciens qui se réclament de la République cherchent le compromis, les autres montent un Service d’Action pour affronter les casseurs.

Et au milieu, cette femme – incarnée par Lucie Leclerc, habitée – accablée, rongée, par son omniscience, qui nous décrit entre désespoir et espérance, cynisme et idéalisme, l’effondrement simultané de la révolte et de la République.

« L’âme rongée par de foutues idées » est à la fois une leçon d’histoire et un exercice de prospection pour les militants de Nuit Debout. Écrite avant même que ne soit présenté le projet de loi El-Khomri qui a mis le feu aux poudres, la pièce pourrait être un cours, magistral, sur la révolte, ses causes et ses écueils, et sur le pouvoir, son idéal et ses travers.

Elle est à mettre entre toutes les mains, celles des indécis et des déçus de Nuit Debout, celles des jusqu’au-boutistes anarchistes ou socialistes, celles des riverains et des bourgeois. Elle est le sursaut d’énergie qui manque aux militants épuisés par deux mois de lutte continue, elle est l’étincelle qui fait passer de la télé aux pavés, elle est la flamme qui éclaire l’actualité pour les aveugles et les parents inquiets. Elle est la réponse essentielle, nécessaire, du théâtre aux chaînes d’info et elle n’est à rater sous aucun prétexte.

« L’âme rongée par de foutues idées », écrit et mis en scène par Guillaume Lambert, avec Lucie Leclerc, le jeudi, vendredi, samedi à 21h et le dimanche 17h à la Manufacture des Abbesses, Paris, jusqu’au 19 juin.

SEBASTIEN NOVAC

Crédits photos:

  • L’ame rongée par de foutues idées: La manufacture des Abbesses

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