Les débats sur les violences prennent-ils trop de place à Nuit Debout ?

TRIBUNE – Dicoasina, un participant de Nuit Debout, déplore la part grandissante qu’occupe la haine de la police dans les débats sur la place de la République, aux dépens des autres problématiques liées au mouvement. Il revient également en détail sur l’épisode de la voiture de police incendiée en marge de la manifestation des policiers du 18 mai. Une belle réflexion sur la violence qui fait débat depuis le début au sein de Nuit Debout.

Une occasion ratée peut-elle permettre une réflexion réussie ?

Dès que l’appel à la manifestation des syndicats de policiers a été connu, un grand nombre d’interventions en AG du soir place de la République à Paris ont porté sur la haine anti-flics, les casseurs et la violence légitime, l’usage de la violence face à la police etc. Où étaient passés les témoignages de la violence au travail, de la violence de l’argent, de l’assujettissement des êtres vivants aux impératifs du profit ?

Tout à coup, les discussions sur les besoins de transformation du monde, sur les rêves d’humanité, de solidarité, la promotion de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité, passaient après ces prises de paroles obsessionnelles anti-flics. Des pollueurs de nos espaces de liberté physique comme intellectuelle ont essayé par tous les moyens de nous confiner à leurs terrains de jeux favoris : les films de cow-boys, les récits des bagarres entre gangs. Bref : leur slogan « Nique la police » était devenu « tout le monde déteste la police ». Nous sommes passés d’une éructation indéterminée à un énoncé : cette phrase résonnait comme un mot d’ordre !

Ce modèle est à la fois celui des religions qui, d’une injonction ordinaire, font une loi fondamentale (Les Dix Commandements), et celui de la pub, qui fait d’un réflexe langagier un ralliement commercial à une marque. Par conséquent pour les « envahisseurs » de l’AG, il suffisait de répéter, décliner, chuchoter, hurler, danser, chanter, imager, transformer cette  sentence pour qu’elle occupe l’espace public de nos débats. Comme si, tout à coup, on s’en foutait du capitalisme, du racisme, des individualismes, des ruptures d’humanité dont nous parlons dans les commissions. Comme si la refonte du monde, qui est notre préoccupation principale, n’avait plus d’importance pourvu qu’on crie sa haine de la police.

Gabarits tags
Gabarits tags

Quelle aubaine pour le pouvoir de Valls — qui connaît très bien la police pour en avoir été le patron. Quelle aubaine aussi pour les médias en quête de sensationnalisme : chaque jour, des images de casse, d’affrontements, de blessures, de larmes, d’armes, de gaz, de courses poursuites. Pour les chaînes dites d’info continue, quel filon ! Cette double chasse permet des surgissements de personnages de feuilletons d’autant que des caméras embarquées donnent des images insensées, jamais vues.

Pendant ce temps, sur la place, chaque soir, c’est : « gnagnagna la police gnagnagna y a pas de casseurs gnagnagna les coopérations provocateurs-répression cela n’existe pas ». Cela ne permet même plus de débats sur la relation entre les réfugiés et la population d’un quartier, ou sur les travaux de la commission Éducation. Chaque fois un pollueur anti-flic vient à nouveau répéter son catéchisme sous forme de verset ou de sourate.

Manif 1 mai (09)
Photo Raphaël Depret

De temps à autre, une oratrice ou un orateur, avec le sourire et le regard porté vers l’avenir, sort du rang pour exprimer son ras-le-bol de ce thème récurrent, ou pour conspuer ces casseurs, fauteurs de fausse violence insurrectionnelle mais de vrais troubles dans l’esprit des 75% de Français qui, comme nous, veulent dégager la loi El Kohmri, et des 60% qui, malgré toutes les images télévisées, ont de la sympathie pour le mouvement Nuit Debout. Une respiration intolérable pour les adeptes du masque à gaz, de la cagoule, de la bagarre et de la pensée unique qui reprenait le micro. A tel point que plusieurs équipes de médiation ont inventé le dispositif des débats thématiques afin que les AG reprennent leur place dans le processus démocratique que nous expérimentons.

Mais ne nous leurrons pas…

Manif 1 mai (10)
Photo Raphaël Depret

Hier (mercredi 18 mai) quelques-uns de ces casseurs ont eu la connerie trop lourde et cela doit nous permettre de les foutre dehors définitivement. Les syndicats des policiers étaient là pour rencontrer la population et confier leur incompréhension devant le sentiment anti-flics. Choisir la place de la République était pour eux doublement symbolique. Cela leur rappelle un moment de fraternisation entre policiers et manifestants et cela les amène à réfléchir à ce que B. Cazeneuve les oblige à faire pour réprimer le mouvement qui prend racine sur cette place depuis presque deux mois.

Pendant quinze jours, certains d’entre nous ont débattu sur la meilleure façon d’atteindre conjointement cet objectif annoncé. Il y avait ceux qui souhaitaient confronter les policiers aux morts dues à ce qu’il est coutume d’appeler des « bavures », ceux qui préféraient leur présenter ce dont nous discutons réellement ici, les relations entre sécurité publique et liberté publique. Ceux qui voulaient leur demander des comptes sur l’instrumentation par le gouvernement des provocations et des prétendus casseurs eux-mêmes, images à l’appui, afin de détériorer nos images respectives. Les uns et les autres avaient préparé des initiatives non violentes, parfois humoristiques, pour assurer la réussite de cette rencontre.

Manif 1 mai (08)
Photo Francis Azevedo

Nous savons en effet que, quelle que soit notre détermination, nous n’arriverons jamais à changer le monde si, à un moment ou un autre, nous n’emportons pas l’adhésion d’une partie des forces de police. Notre histoire républicaine démontre que la réussite d’une insurrection ou d’un soulèvement populaire dépend toujours du refus des forces de police de réprimer, au minimum, et au mieux de leur adhésion à la cause des insurgés.

Saisir cette occasion pour unir nos voix non pas à celles de « nos bourreaux » mais de fonctionnaires qui réfléchissent sur les raisons qui font que les ordres reçus ont pour objectif l’explosion de confrontations violentes et le dévoiement du mouvement anti-loi travail. Amener le flic de base à réfléchir au raisons qui, alors que chaque soir, aux confins de la place, il doit vérifier le contenu de nos sacs, les vendeurs de bières et autres boissons alcoolisées, eux, parviennent à faire plusieurs voyages de réapprovisionnement et de mise à l’abri de leur recette.

Le confronter aux films montrant la collusion entre des « casseurs » qui attendaient la manif du 1er mai en embuscade, d’un côté, et de l’autre le commandement des CRS, qui en a profitéa pour frapper tout azimut sur la tête de manif. Montrer comment les CRS ont accompagné cette bande de 50 à 60 personnes plutôt jeunes, excitées par des mecs « mûrs » au physique plus proche de Rambo que du grand Duduche.

Ces différentes solutions, portées par nous tous, tel.les que nous sommes, vivant.e.s, souriant.e.s, amoureux.ses de la paix, porteurs.ses de la convivialité et aimant la discussion, auraient eu l’avantage de créer les conditions d’un vrai débat sur la police dont la France de demain aura besoin. Et pourquoi pas, d’avoir à nos côtés des Policiers Debout comme nous avons des Avocats Debout, des Tailleurs de pierre Debout, des Professeurs Debout, des Comédiens Debout, des journalistes, des métallos, des routiers, des postiers etc.

Policiers debout ? Héritiers de ceux qui ont lutté contre le nazisme ou les putschistes ? Il est temps effectivement que nous les aidions à parler. Car eux aussi doivent se libérer du joug des capitalistes qui les utilisent pour protéger leurs coffre-forts et leur emprise sur le monde. Pour cela, nous avions décidé chacun à notre manière d’aller vers eux. Bien sûr, nous savions que les barrières physiques, affectives et intellectuelles, seraient là.

Collage (11)
Collage (11) / Stephanie Pouech / DR

Mais les syndicats ayant fait les choses correctement, nous n’avons pas pu nous rencontrer. Nous n’avions plus qu’à chercher des espaces ailleurs, pas trop loin de la place pour qu’une fois la manif terminée, les policiers puissent venir nous voir. Au lieu de cela, par incohérence, innocence, ou inexpérience nous avons laissé le flou, la confusion, régner dans nos rangs. Si bien que ceux qui crurent bon d’aller contre-manifester, pour montrer notamment leur désapprobation envers les violences inadéquates qui se sont déroulées en marge des manifs anti-loi El Khomri, ont été embarqués par les provocateurs.

Manif non autorisée qui déambule sans que les gendarmes mobiles interviennent pour encadrer un cortège peu nombreux mais entouré de caméras de toutes sortes et des flics en civil de toutes obédiences. Sans compter les infiltrés dans les rangs des casseurs, qui jouent un rôle si important que le représentant du syndicat majoritaire de la police a pu affirmer dans l’émission du plus grand promoteur vallsien du PAF, Yves Calvi, que la police sait qu’il y a en gros 300 casseurs qui sont répertoriés, identifiés et suivis. Donc utilisés pour ce qu’ils savent faire : mettre le bazar pour permettre à la police d’intervenir contre des manifestants.

En l’occurrence, deux ou trois n’ont pas hésité à s’en prendre à deux flics ordinaires dans une voiture qui revenaient d’une mission de sécurisation sur le périphérique. La haine portée à son paroxysme ? Résultat : des casseurs casqués et armés, des bas du front, s’en prennent à deux personnes jusqu’à mettre le feu à leur voiture alors qu’elles ne s’en sont pas encore extraites, montrant par là qu’ils n’ont aucun respect pour la vie humaine et se plaçant donc au niveau des dérives qu’ils sont censés condamner en défilant malgré l’interdiction.

Pacifistes (1)
Photos Francis Azevedo/DR

Tandis que ces trois ou quatre abrutis se déchaînaent, de jeunes pacifistes qui défilaient contre les violences policières se sont précipités, eux aussi au péril de leur vie, pour aider les deux policiers à sortir de cette nasse. Un geste courageux, humain, qui ne confond pas l’individu et le métier qu’il exerce; malheureusement, les journalistes qui en ont recueilli la trace audio ou vidéo n’ont pas encore trouvé de média qui veuille bien les diffuser en boucle, afin de souligner l’esprit de solidarité qui anime Nuit Debout.

Qui va se poser la question de savoir pourquoi, parmi les fauteurs de troubles, on trouve 3 des 9 personnes dont l’interdiction de manifester a été refusée le matin même par le tribunal administratif ? Qui va se demander pourquoi justement revenant du périphérique, ce véhicule siglé est passé devant les casseurs qui visiblement étaient suivis par une cohorte de caméramen et de photographes ? Qui va se poser la question des instigateurs de cet incident qui aurait pu virer au drame, si au lieu d’un policier courageux et expérimenté on avait eu affaire à un abruti identique à celui qui le frappait ? Car je ne crois pas que l’on passe aussi facilement du climat d’empathie, de solidarité et de construction dans lequel nous vivons à Nuit Debout à celui d’un box de chiens de chasse affamés, lâchés derrière du gibier. C’est ce comportement haineux que nous voyons se déchaîner en manifestations, lorsqu’après les avoir laissés être les cibles de quolibets et de projectiles, Cazeneuve lâche la force dite légitime. C’est ce même comportement que nous avons parfois vu dans nos rangs.

Ne les laissons ni les uns ni les autres se revendiquer de Nuit Debout ! Nous n’avons rien à voir, rien à faire, rien à débattre avec ceux qui en cassant un abribus croient faire la révolution alors qu’ils empêcheront simplement une femme enceinte de s’assoir le lendemain ou même un SDF de trouver un refuge de fortune le soir même. En plus grâce à leurs actions, Decaux pourra vendre un nouvel abribus à la commune de Paris, qui le paiera avec les contributions des citoyens . Pareil pour Bolloré et ses voitures électriques dont j’ai entendu dire sur la place par des idéologues de la violence qu’elles étaient des cibles à détruire.

Rien de tel pour ces figures emblématiques du capitalisme de faire un coup, car quoi de plus simple que de trouver parmi les victimes des gazages ou des matraquages celle ou celui qui mettra l’engin incendiaire que lui donnera celui qui l’accompagne depuis quelques temps dans ses virées punitives.

Nuit debout devant les usines Renault
Nuit debout

Nous avons ici et maintenant l’occasion de sortir de la confusion. Il faut choisir de virer les provocateurs. Il faut choisir entre l’humanisme et la barbarie. Nous n’avons pas à prendre les visages masqués que veulent nous voir endosser nos ennemis. Nous fabriquons un autre monde à visage découvert, sans haine ni violence particulière, sans conflit singulier qui égarerait nos pensées nous construisons. Que ceux qui veulent prendre d’autres voies les prennent, mais ailleurs.

Cela ne veut pas dire que nous allons offrir nos poitrines innocentes et nos têtes pensantes à la violence et aux armes de nos ennemis. Nous devons nous préparer à nous défendre lorsque la violence se déchaîne contre nous. Mais cette préparation comprend des éléments qui n’ont rien à faire des armements ou des techniques martiales. Le débat avec les flics fait partie de cette préparation. Ni plus ni moins que les discussions avec les riverains de la place de la République, ou que l’autodiscipline qui permet à chaque commission à la fois d’occuper un espace et de permettre aux autres de s’entendre également. Ou que nos capacités à respecter les horaires d’autorisation pour durer le plus longtemps possible dans notre occupation de la place.

A l’intérieur des forces de police il y a vraisemblablement des personnes qui aiment casser du manifestant, qui aiment cette relation haineuse à l’existence. Comme il y en a qui voudraient s’installer et prospérer dans nos rangs. A ceux qui se reconnaissent dans une police au service des citoyens, il faut faire en sorte d’extirper de leurs rangs les individus fauteurs de troubles provocateurs et malsains.

Pour Nuit Debout, nous ne devons plus accepter dans nos assemblées des provocateurs qui ne viennent que pour polluer nos idées nos combats et dénigrer nos intelligences.

@dicoasina

Crédits photos:

  • Gabarits tags: Floryan Reyne
  • Manif 1 mai (09): Raphaël Depret
  • Manif 1 mai (10): Raphaël Depret
  • Manif 1 mai (08): Francis Azevedo
  • Collages_1_11: Stéphanie Pouech / DR
  • Pacifistes (1): Francis Azevedo
  • 8juin: Francis Azevedo
  • Blocage de l’Assemblée (3): Vincent Blanqui

4 réactions sur cet article

  • 29 mai 2016 at 10 h 41 min
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    Elle est belle ta vison de la démocratie avec les bons manifestants et les mauvais. Exactement le discours de la police, du gouvernement et des médias. Tu utilises même le terme de casseurs. Alors qu’il existe émeutier, black bloc etc,…
    De plus tu dits souvent « nous » pour te différencier des autres, les émeutiers. Donc tu parles au nom de tous, De quel droit ? M’as-tu demandé mon avis ? Non.

    Le mouvement est multiple, normal d’y trouver des tendances différentes. Et si tu participes au carré de tête tu remarqueras que lorsque 10 personnes sont violentes, elles sont quand même soutenues par le millier autour, qui sont non-violentes. Et qu’à force d’être gazé-e-s et/ou blessé-e-s, le camp des non-violents diminue. La faute à qui ? La réalité est beaucoup plus complexe que ta vision bon / mauvais.

    Le choix de la violence ou de la non-violence est un choix individuel. Laissons chacun faire ses choix. D’autant que ceux qui utilisent la violence ou la non-violence ont de bons arguments à défendre. Tu peux refuser de comprendre les arguments de ceux qui ne pensent pas comme toi, je ne suis pas sur que c’est comme cela que l’on créera un nouveau monde…

    Tu rêves d’un mouvement organisé, avec une doctrine à suivre, pour être plus efficace. OK, ce n’est pas nuit debout mais un parti politique alors.

    Et quelle sera la prochaine étape, interdire aux « violents » de s’exprimer ? Mise en place de quotas ?

    Brrrrrrrr à ce rythme là, nuit debout va accoucher d’une nouvelle génération de politiciens, identiques aux anciens…

    Salutations camarade

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    • 31 mai 2016 at 17 h 02 min
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      je ne sais pas où vous lisez de la morale ici. Y en aurait-il que, je n’ai pas su lire, que cela n’aurait rien de navrant car dans tous les mouvements révolutionnaires il y’ a un ordre moral sous jacent, y compris dans les mouvements anarchistes. La question posée n’est pas celle de l’existence d’une violence révolutionnaire légitime mais plutôt celle de l’usage fait par le pouvoir dans cette lutte précise, ici et maintenant, des violences de rue qui n’ont rien de révolutionnaire. Quelles soient le fait de flics ou de leurs alliés-casseurs?

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