Les dangers de la nouvelle Loi travail par Avocats Debout

INTERVIEW – La semaine dernière, Norah Bassam, de la Commission Refonte du Code du travail, nous alertait sur le préambule du projet de loi travail. Hier, un texte vient d’être adopté après un passage en force, sans débat parlementaire. Bien qu’en partie modifié, il n’en demeure pas moins dangereux. Joris Geneste, juriste fondateur d’Avocats Debout, le décrypte pour Gazette Debout.

  • Gazette Debout : la loi travail adoptée en force inverse la hiérarchie des normes du droit du travail. Pouvez-vous nous dire en quoi c’est dangereux ?

Joris Geneste : Je suis né dans les corons des mines du bassin de Longwy. Je retrouve dans la loi EL-Khomri la confrontation directe entre employeur et travailleur qu’a connue mon grand-père à la mine. Ce qui définit juridiquement un contrat de travail ce n’est pas la rémunération mais le lien de subordination soumettant le travailleur à l’autorité de l’employeur. Cela a pour conséquence un déséquilibre de la négociation, la naissance d’une partie forte contre une partie faible au contrat; c’est pourquoi ont été créées des règles objectives réunies dans le code du travail.

La loi travail rétablit « l’accord d’établissement ou d’entreprise ou, à défaut, l’accord de branche » comme prévalant sur le Code du travail, dont les dispositions sont rebaptisées « dispositions supplétives ». Imaginez un instant la situation : vous êtes en CDD de 6 mois et l’employeur propose un accord d’établissement visant à réduire la majoration de la rémunération des heures supplémentaires de 25 à 7 %. Vous votez contre : Votre CDD ne sera pas renouvelé. Les dangers pour les salariés sont à la fois économiques et sociaux. Car en instituant de telles tensions au sein des établissements et des entreprises, la loi travail va créer des situations de harcèlement moral. Or la bonne santé d’une entreprise, ce que la loi travail appelle « le bon fonctionnement de l’entreprise », repose avant tout sur la bonne santé mentale et physique de ses salariés. Cette loi va donc multiplier les arrêts de travail pour raisons médicales, plomber l’économie des entreprises et creuser encore davantage le déficit de la Sécurité sociale. Ce sont en grande partie les protections du salarié apportées par le Code du travail qui faisaient du salarié français le travailleur le plus productif au monde.

Enfin, cette loi qui se veut simplificatrice va faire doubler de volume le Code du travail : en effet celui-ci, qui ne fait en réalité que 650 pages, va voir, du fait du rôle accru des accords d’entreprise, le rôle d’interprétation souveraine des juges devenir primordial, comme dans le système juridique anglo-saxon, et sa jurisprudence se multiplier à l’infini… .

L'eau bout à 100
Gazette Debout : La loi introduit le référendum d’entreprise. Pouvez-vous nous décrire brièvement ce dispositif et nous en expliquer les risques ?

J. G. : Le principe est le suivant : la validité d’un accord d’entreprise ou d’établissement serait subordonnée à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50% des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives.

Mais, lorsque les syndicats majoritaires ne voudront pas signer l’accord, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30% des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives pourront signer l’accord et demander la tenue d’un référendum pour valider l’accord. Le vote des salariés est organisé par l’employeur, l’accord est validé s’il est approuvé à la majorité des suffrages exprimés.

A priori, le référendum peut sembler être une bonne idée. Mais voilà : c’est l’employeur qui organise cette consultation, la question est binaire, et surtout, nous savons très bien qu’il y aura chantage à l’emploi. Cette pression sur les salariés est monnaie courante, et c’est d’ailleurs pour cela qu’il existe des représentants tels que les syndicats, les élus du personnel, pour éviter ce face à face. Le référendum a ici pour objectif d’écarter les représentants des salariés qui peuvent démentir les propos de l’employeur et tenir un discours alternatif. Le référendum est utilisé afin de déséquilibrer un peu plus le rapport de force au détriment des salariés, en favorisant un face à face entre l’employeur et les salariés, parties inégales puisque étant dans un lien de subordination. Il a d’abord pour objectif d’écarter les contrepouvoirs et d’écraser les voix dissidentes à celle de l’employeur.

Gabarits tags
Gabarits tags

Gazette Debout : Y a-t-il d’autres points de la loi sur lesquels nous devons être vigilants ?

J. G. : Jusqu’à présent, le salarié père de famille et titulaire d’un CDI avait de bonnes chances d’obtenir un prêt auprès de la banque pour devenir primo-accédant à la propriété. En rendant le CDI précaire, puisqu’elle prévoit la possibilité du licenciement économique après 3 ou 4 mois de situation financière difficile pour l’entreprise (et non plus pour le groupe auquel elle appartient) la loi travail supprime la garantie d’emploi que représentait le CDI. Le banquier va t-il devoir consulter le bilan de l’entreprise avant d’accorder un prêt ?

Gazette Debout : Quels sont maintenant les recours possibles contre ce texte, et comment les Avocats Debout vont-ils agir ?

J. G : Le seul recours possible est désormais devant le Conseil Constitutionnel, mais il est systématiquement saisi à l’occasion de chaque nouvelle loi du gouvernement par les parlementaires avant promulgation, sans grand résultat. La question est maintenant dans les mains des magistrats et des juges prud’homaux. Ce sont eux qui en pratique aménageront l’application de la loi. On peut s’attendre à une multiplication des saisines de la Cour de cassation…. A noter, le Conseil Constitutionnel pourra être saisi par tout justiciable même après promulgation sur les dispositions non déférées par les Parlementaires.

Gazette Debout : Un mot pour présenter la Commission Avocats Debout ?

J. G. : Nous sommes présents tous les jours place de la République depuis le 3 avril. Avocats, élèves-avocats, juristes, magistrats, tous praticiens du droit, nous sommes rencontrés spontanément avec un même objectif : porter le droit au plus près des citoyens. Pour nous, le droit peut être un outil des luttes sociales avant d’être l’arme des classes dominantes. Ainsi, chaque citoyen peut aller à la rencontre de ces praticiens décidés à le démocratiser. Sous la banderole « consultations juridiques » notre collectif Avocats Debout répond gratuitement, de manière anonyme et confidentielle, aux questions du public (et des autres Commissions de Nuit Debout).

Maître Dominique Tricaud, ancien membre du conseil de l’ordre, est le parrain du collectif.

Propos recueillis par Magalie. 

Crédits photos:

  • L’eau bout à 100: Nuit Debout / DR
  • Gabarits tags: Floryan Reyne
  • Non au 49-3: Nuit Debout / DR

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