Nuit Debout à la fête de l’Europe

TÉMOIGNAGE. Sur la place de la République, on annonce une action devant l’Hôtel de Ville de Paris à l’occasion de la fête de l’Europe, samedi 7 mai. L’objectif annoncé est de s’inviter au débat « Europe et réfugiés : test de solidarité ? ».

On nous présente deux cas possibles :

– cas 1 : les organisateurs acceptent que des membres de Nuit Debout et de collectifs participent au débat ; ces derniers pourront alors faire entendre leurs voix et déconstruire l’argumentation des intervenants (Cécile Kyenge notamment, députée européenne, membre du Parti démocrate italien, ex-ministre de l’Intégration du gouvernement Letta) ;

– cas 2 : les organisateurs refusent de débattre, ce qui les discrédite.

L’ACTION

L’arrivée sur la place de l’Hôtel de Ville se fait en chantant. Quelques gendarmes, pris au dépourvu, tentent d’empêcher, parfois violemment, l’entrée sur la place en poussant et tirant à terre plusieurs personnes. Pendant 30 mn, un gendarme filmera l’action à distance.

La foule s’invite sous le chapiteau où doit avoir lieu le débat. Avant que ce dernier ne s’engage, s’enchaînent pendant 15 mn plusieurs interventions de migrants, à la fois sur leurs conditions d’accueil et sur l’intervention musclée des forces de l’ordre lors de l’évacuation du lycée Jean-Jaurès.

Puis, les organisateurs prennent le micro pour amorcer le débat. Dans un brouhaha général, plusieurs militants (nuitdeboutistes et collectifs) refusent alors le dialogue et annoncent leur intention de retourner à République. D’autres veulent empêcher la tenue du débat. Enfin, de nombreuses personnes souhaitent rester et débattre. Les esprits s’échauffent, y compris entre participants de Nuit Debout. Une personne propose de rester pour discuter en utilisant les règles d’horizontalité des AG de Nuit Debout. Elle se fait huer par une partie des militants.

MON AVIS SUR LA FORME DE L’ACTION

Il est évident que ce genre de débat est une supercherie. Les intervenants invités sont tous d’accord entre eux et font en l’occurence le SAV des institutions européennes.

Toutefois, la volonté de bloquer le débat est pour moi une grave erreur stratégique. J’y vois deux problèmes :

– en termes d’image et de communication, c’est désastreux. Nous étions venus montrer que nous portons la démocratie – contrairement aux institutions européennes – et finalement, nous refusons le débat. C’est paradoxal et cela jette le discrédit sur l’ensemble du mouvement.

– pour que nos idées et arguments se diffusent, il est nécessaire de débattre publiquement, même avec des interlocuteurs dont on connaît la position à l’avance. Un débat argumenté peut nous permettre de convaincre beaucoup d’observateurs qui n’ont pas encore pris conscience des réalités, en l’occurrence celle de l’accueil des migrants par l’Europe. Au lieu de cela, si, lors de ce débat, ces observateurs sont partis avant le retour au calme, ils ont seulement vu des individus souhaitant bloquer un débat d’idées. Pourtant, on l’a constaté par la suite dans ce débat, nos arguments sont efficaces et déstabilisants !

Il faut vraiment que nous discutions entre nous de ces méthodes autoritaires qui empêchent certains de s’exprimer au prétexte d’on ne sait quelle supériorité. Comment pouvons-nous vanter le fonctionnement horizontal de Nuit Debout place de la République si on ne l’applique pas ailleurs ?

Galerie Borenstein

LE DÉBAT

Finalement le calme revient et le débat commence, sous la médiation des organisateurs, représentés par Caroline de Camaret de France 24 (ex Libération, VSD, L’Européen, L’Expansion, Public Sénat…).

Sur le fond. La députée Cécile Kyenge défend l’action de l’Union européenne, tout en se montrant critique sur certains détails.
Les questions de l’assemblée portent sur le sort actuel des réfugiés et leurs conditions d’accueil, sur l’inaction des États, sur l’omniprésence du pouvoir économique et financier, sur les ventes d’armes. En réponse, la députée se dit dans l’action, au contraire de ses opposants, affirme ne pas être manipulée par le pouvoir économique et invite les participants à voter (sous-entendu pour le Parti socialiste européen) pour changer les choses.
Cécile Kyenge ne répond pas vraiment aux questions critiques sur l’accueil réservé aux réfugiés, ni sur le fonctionnement de l’Union européenne ; elle ne fait que justifier son action. Elle n’hésite pas à utiliser un registre pathologique lorsqu’elle est déstabilisée. Elle ne remet pas en cause le fonctionnement actuel du système, ne critique pas les méthodes d’expulsion des réfugiés, et accuse ses détracteurs d’être dans l’inaction.

Sur la forme. Si la parole est monopolisée par la députée, des personnes du public sont tout de même invitées à poser une question. Mais chacune de ces questions est résumée, prémâchée, simplifiée par la médiatrice Caroline de Camaret qui, parfois, n’hésite pas à répondre directement, telle une VRP de l’Union européenne. Elle a même fait franchement pression sur une personne en train de s’exprimer (par sa proximité immédiate et ses mains) pour qu’elle lui rende le micro.

Conclusion. Ce « débat » ne fut en fait qu’une tribune pour justifier l’action des institutions européennes, sans réelle remise en cause. Le fonctionnement vertical et l’absence totale de neutralité de la part de la médiation ont empêché la construction d’un échange argumenté, où chaque participant aurait pu être amené à s’interroger sur ses positions. Tout l’inverse de ce qui se passe jour et nuit à République !

 

Anthony

Crédits photos:

  • Galerie Borenstein: Daphné Borenstein/DR
  • Galerie Borenstein: Daphné Borenstein/DR

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