Qui a intérêt à discréditer Nuit Debout et la police ?

TRIBUNE – Ça va faire trois semaines que je traîne mes basques place de la République. Je fais partie de ceux qui ne peuvent pas participer activement à l’occupation nocturne (réveil à six heures trente oblige). Cependant, je crois que j’ai réussi à goûter à peu près à toutes les ambiances de la place.

Pour certains, il y a deux NuitDebout à République. C’est un peu faux. Je crois qu’il y a autant de Nuit Debout que de participants, de sympathisants. Ce qui crée tout, un spectre qui s’étire du pôle « débat » au pôle « ébats », en passant parfois un peu trop près des récifs Bisounours et des bancs de sable Violence.

Certains refont le monde en discutant du mot « Commission » pendant deux heures. D’autres en usant les pavés de la place à force de danser comme des fous. D’autres encore s’attaquent aux symboles d’un système oppresseur : forces de l’ordre, vitrines de banques.
Et parfois, ça se mélange.
Vous finissez par déclamer une fable de La Fontaine, sous la pluie avec des immigrés, des enragés, des personnes que vous n’avez jamais vues, à trois heures trente du matin.
C’est absurde, spontané, et c’est beau.

République (panoramique 1)
Raphaël Georgy/DR

Ça va faire trois semaines que je suis Debout, que je m’éclate, que je rencontre des gens et que je vais de surprise en surprise. Que je mets à l’épreuve mes idées politiques, ou mes idées tout court. Sauf que depuis dimanche, j’ai un drôle de goût amer dans la bouche. Un goût un peu bilieux, un peu sanglant. Peut être celle d’une part d’innocence qui s’en est allée. Le goût d’un malaise.

Je ne sais pas pour les autres… Et peut être que je psychote un peu… Mais j’ai vraiment une impression étrange dans les tripes quand je passe près des policiers stationnés dans le métro et aux abords de la place. Et aussi quand je vois les unes des journaux, quand j’entends qu’on parle de « groupes d’individus violents et très mobiles »  à l’origine des débordements lors des manifestations, et sur lesquels les organisateurs (ou la police) n’auraient aucune prise.

Aucune prise, vraiment ? Même certains politiques de droite trouvent ça étrange, et doutent que « le gouvernement fasse tout ce qu’il faut« .

Manif 1 mai (04)
Photo Francis Azevedo/DR

Et puis, il y a ce décalage violent entre la communication officielle et la réalité que je perçois sur le terrain. Et ça me fait enrager.

En lisant le communiqué de la Préfecture de police daté du 1er mai au soir,  on pourrait croire que ce sont 200 ou 300 collégiens fans de Nekfeu qui ont attaqué les forces de l’ordre juste après le concert… Sauf que ce n’est pas exactement ce qui s’est passé ce soir-là. Un ami policier me disait : « Il y a des gens violents des deux bords, dont le gouvernement se sert pour discréditer le mouvement. Aucun ordre clair n’est donné aux forces de l’ordre, et ça pousse au conflit. On nous fout autour de Répu et on nous dit : Empêchez-les de bouger… ». Par conviction, il s’est engagé pour défendre la République. Il a fini sa bière en me disant : « Ce que je fais en moment, c’est pas ça, la police. »

Il ne faut pas se leurrer. Des personnes violentes dans la police, il y en a. Je veux croire qu’elles sont une minorité. Elles effraient, elles portent atteinte à l’image de ce qui devrait normalement être un « service public », composé d’êtres humains à qui on a ôté la possibilité d’être faillibles…

Les forces de l’ordre aujourd’hui ne sont plus autorisées à faire preuve d’humanité.

Je parlais avec une fille d’Accueil & Sérénité, à propos de sa nuit du jeudi 28 avril. Elle me disait avoir eu l’impression d’une plus grande violence de la part des CRS ce soir-là, peut-être parce qu’un de leur collègues était grièvement blessé. Elle m’a confié que des gendarmes, qui constituaient le fond d’une nasse rassemblant une centaine de manifestants, avaient écarté leurs rangs pour en laisser échapper certains.

Dimanche soir, elle m’avait montré du doigt un CRS, qui poussait un peu trop violemment un manifestant et qui se faisait reprendre par deux de ses collègues… Quelqu’un de son équipe lui a dit avoir vu un chef d’escadron recevoir un jet de gaz sur la visière : l’ordre qu’il venait d’exprimer ne plaisant probablement pas à son subordonné.

A force d’être présent, on finit par percevoir d’infimes détails, des craquelures sur une surface qu’on veut nous donner comme inaltérable; des détails sympa ou moins sympa.

Manif 1 mai (09)
Photo Raphaël Depret

« Aucun ordre clair donné »… voire des ordres idiots. Dimanche, il a été demandé au camion lance-à-eau de stationner non plus sur le boulevard Voltaire mais sur l’avenue de la République; trente minutes plus tôt, une centaines d’enragés cagoulés, masqués, qui avaient été gazés et nassés tout l’après-midi à Nation, avaient rejoint la place par ce même boulevard Voltaire. Evidemment, il y a eu des jets de projectiles sur le camion, qui a dû faire demi-tour. Je n’arrive pas à croire que ce n’était pas prévisible. Je me mets même à me demander si ce n’était pas prévu.

Autre exemple : les grilles de la sortie 1 de la station République ont été fermées à 19h30. Quel était l’intérêt de faire stationner toute la soirée des policiers derrière, en vu et au su des enragés, à part de faciliter le jet de projectiles ?

Les syndicats policiers s’inquiètent tous de cette surexposition des forces de l’ordre et de la fatigue qui en découle. Cette violence à beau venir d’une frange minoritaire des manifestants, c’est cette opacité des ordres et des décisions stratégiques qui les place en porte-à-faux. Plusieurs syndicats de police appellent d’ailleurs à manifester le 18 mai pour sensibiliser la population aux difficultés de leurs métiers. D’autres dénoncent les ordres ubuesques qu’ils reçoivent, et sont extrêmement critiques par rapport aux consignes données en amont.

Voilà. Elle vient de là, ma sensation de malaise. J’éprouve – parfois physiquement – le poids d’un système déshumanisant où l’humilité et la fraternité sont des faiblesses. J’ai eu les poumons encrassés de gaz, j’ai entendu les détonations des grenades de dispersion, vu les étincelles qui jaillissent lors de leur explosion. Et quand j’ai relevé les yeux… je me suis retrouvée face à des pions.

J’ai l’impression que je suis, que nous sommes de petites marionnettes coincées entre le marteau médiatique et l’enclume du système en place… Alors, qui tire les ficelles ?

Clém.

Crédits photos:

  • République (panoramique 1): Raphaël Georgy
  • Manif 1er mai: Francis Azevedo
  • Manif 1 mai (09): Raphaël Depret
  • Un autre monde est possible: Nuit Debout

19 réactions sur cet article

  • 5 mai 2016 at 20 h 58 min
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    Mais personne ne discrédite Nuit Debout ET la police… ?

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  • 5 mai 2016 at 21 h 27 min
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    Pour qui roule le préfet de police ?

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  • 5 mai 2016 at 21 h 38 min
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    Je me demande si, plutôt que le ministre, il ne s’agirait pas plutôt d’une intrigue menée par le préfet de police de Paris, la préfecture de police étant souvent désignée comme ‘un État dans l’État’. C’est une piste plausible dans la mesure où il est surtout coloré UMP si j’en crois sa biographie wikipédia. En prévision de 2017 il cherche peut être à cliver (pour le coup ça marche : les gens de droite soutiennent la police, ceux de gauche vomissent le PS). Je serais pas surpris qu’il soit un copain de Juppé. Enfin bon je spécule évidemment mais les intermédiaires ont souvent plus de pouvoir que les donneurs d’ordre (autrement dit que le ministre).
    https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Michel_Cadot
    Ça peut être aussi le ministre ou valls mais je vois pas du tout où est leur intérêt.

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  • 5 mai 2016 at 22 h 31 min
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    Eh oui, les agent-e-s de polices, les gendarmes troufions, excusez pour le terme, ont les même intérêts de classe que nous à la base. Seulement, illes n’en ont pas ou plus conscience. Encore une fois, le problème se vérifie avec leur appel à manifester. Car ils vont manifester « contre » la population, pour selon eux la sensibiliser à leur métier. Mais ils se trompent d’interlocuteur. La population n’a pas à rendre de compte sur le métier de flic. Par contre il se trouve qu’elle peut témoigner de multiples violences perpétrées par les forces de l’ordre (l’expression n’est pas anodine).
    Le jour où l’on réussira à faire prendre conscience à la police, la gendarmerie, et à tous ces gardien-ne-s du système qu’illes se battent pour des intérêts qui ne sont pas les leurs, et qu’illes décideront de se rebeller et de nous rejoindre, alors ce sera une grande victoire et une belle brèche d’ouverte.

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  • 6 mai 2016 at 0 h 01 min
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    1) c’est peut-être le préfet, mais en attendant la maire de Paris n’a pas bronché. Elle est de fait complice.
    2) en effet si les policiers mécontents, au lieu de faire une manifestation corporatiste, s’ils rejoignaient les manifestants qui se battent contre une loi, et plus généralement une politique absurde pour eux aussi, ce serait certainement plus efficace pour rallier les citoyens gazés à leur cause.
    3) le gouvernement socialiste a aussi des raisons de couvrir le comportement de la police et de tout mettre sur le dos des « casseurs », cela évite tout débat sur le fond de leur loi de merde qu’ils veulent faire passer à tout prix.
    4)bravo pour votre présence aux nuits debouts, je n’ai pas votre ténacité. J’espère que ce mouvement prendra plus de sens et de poids en s’ouvrant aux organisations déjà militantes progressistes, politiques ou syndicales, pour profiter de leur capacité de rassemblement et d’action.
    5) tout cela a pour effet bénéfique que de plus en plus de gens prennent conscience de l’enfumage, sans jeu de mot, qu’on nous inflige, et comprennent qu’il faut ouvrir les yeux sur les manipulations médiatiques et politiques.
    6) maintenant il ne faut plus l’oublier quand on ira voter dans un an.

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  • 6 mai 2016 at 7 h 22 min
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    Les nuits de bouts sont vécus en majorités par des jeunes qui ont perdu tout espoir du système politique en place et qui ont perdu le plus important de croire en leur rêves …

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    • 6 mai 2016 at 10 h 11 min
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      Au contraire @Lunesoleil, si je me permet de généraliser mes ressentis et expériences à ceux de la majorité des participants des nuits debout, les rêves c’est le carburant qui permet à tout ce monde de rester debout et de croire encore que quelque chose d’autre est envisageable.

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      • 6 mai 2016 at 11 h 49 min
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        Je suis d’accord Lith , qu’il faut des rêves et de les entretenir permet de faire changer les choses. Je soutien depuis le début cette initiative, par les hashtags que j’ai partagé et mes petites participations en apportant quelque chose a grignoter où j’habite …

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  • 6 mai 2016 at 10 h 12 min
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    Au contraire @Lunesoleil, si je me permet de généraliser mes ressentis et expériences à ceux de la majorité des participants des nuits debout, les rêves c’est le carburant qui permet à tout ce monde de rester debout et de croire encore que quelque chose d’autre est envisageable.

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  • 6 mai 2016 at 10 h 32 min
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    C’est sûr que chercher la conspiration c’est plus facile que de faire le ménage dans ses rangs.

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  • 6 mai 2016 at 12 h 00 min
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    @B. Bien sûr chercher la conspiration est plus facile que faire le ménage. Sauf que les activistes de Nuit Debout n’ont AUCUN INTERET A S’AUTO-DISCREDITER. Les éléments de réponse apportés par vos nombreux commentaires sont tous intéressants. Nous pensons qu’il faut aussi chercher du côté du sensationalisme ( l’exploitation systématique par une partie des médias du goût pour le « sensationnel » d’une partie du public) les raisons de cette mise en avant. Hier soir, alors que ND devait, sur arrêté préfectoral, se disperser à 22h, il y avait encore du monde à minuit trente. Cqvd que la police laisse faire (et commence à en avoir marre – cf articles que ns avons publiés). Dans ce contexte, la « presse » (un mot générique qu’il conviendra de nuancer) est en train de trouver un nouvel os à ronger : les nuisances faites aux voisins. On va rentrer dans un reality show médiatique où chacun va y aller de son témoignage. Gazette Debout est déjà sur le coup et prépare la riposte héhé

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  • 6 mai 2016 at 12 h 02 min
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    Loi « travail »= monaie du « mariage pour tous »; ça pue le calcul politique intransigeant…
    Loi « travail »= préalable législatif aux accords de « libre échanges transatlantique »; ce qui se joue en france ressemble à ce qui c joué lors de la Guerre d’espagne en 36, si on lâche on aura les pires fachos de la planéte sur le râble… (le fait que leur marrionnette présidentielle soit « afro-américaine » et « prixnobellisée » ne nous confisquera plus les mots pour le dire; merci nuit debout!). La classe politique et l’appareil d’état tout entier à intêret à discréditer ND…

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  • 8 mai 2016 at 12 h 07 min
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    La violence des casseurs existe et la tentation de certains d’y voir derrière une intention révolutionnaire est totalement irrespectueuse de l’engagement de tous sur cette place de la République et toutes les autres places d’Europe qui se meuvent! Mais il y’a aussi la violence ordinaire qui parsème la place de temps à autre dans la nuit elle a pour cause la difficile reconquête de la parole pour tous et par tous, mais aussi le partage des espaces urbains dans une zone de libre échanges qui n’arrive pas à se débarrasser des échanges marchands malgré tous les efforts militants de la logistique debout ou de la cantine debout notamment….. Lorsqu’arrivent « les marchands du temple », une fois les commerces de proximité fermés…. Des vendeurs dits à la sauvette perturbent la circulation, les échanges verbaux et même les appétits et les soifs des passants militants debout.
    Est-ce si difficile de se fixer des règles simples comme l’interdiction de la vente de bières? Même si nous refusons de faire la police et d’ailleurs on peut vraiment se demander comment ces vendeurs arrivent à faire passer des palettes entières sur la place au travers des barrages de CRS auxquels aucun sac n’échappe. Au moins Boutons les en dehors des espaces que nous dédions à la réflexion et aux débats. Les vendeurs de bières fuiraient la place si aucun d’entre les noctambules debout ne mettaient la main à la poche pour leur acheter leurs canettes soi-disant fraiches. Les trois groupes que j’ai repérés et qui reviennent après avoir expliqué aux camarades « d’accueil sérénité » que c’est leur moyen de gagner leur vie gêner les discussions en alcoolisant les uns et perturbant les autres….

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  • 9 mai 2016 at 14 h 12 min
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    Bonsoir; « Quand on veut tuer son chien, on l’accuse d’avoir la Rage.. » Salutations..

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    • 10 mai 2016 at 17 h 02 min
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      Notre vacin anti rabique, c’est a force du collectif. C’est la solidarité que nous avons dans nos réflexions nos luttes nos combats cela ne se trouve ni dans les bières ni dans les vitrines de Go Sports ou les arrêts de bus fussent-il de Decaux ou les bagnoles fussent-elles de Bolloré. La lutte exige de la détermination, de l’organisation, de l’opiniatreté, de la longévité nous devons économiser nos énergies et nos militants…. en face ils le savent et ce n’est pas un hasard s’ils laissent passer les voyous qu’ils accompagnent jusqu’à l’entrée de la place ou les vendeurs de bières et de canabis. Pour durer il nous faut veiller à ne pas les laisser inocculer la rage…. Sous ce cel rien de neuf les tactiques des dominants sont toujours les mêmes même si les conséquences n’ont rien à voir, les Indiens d’Amérique ont été exterminés en acceptant les couvertures et vêtement destinés à les protéger, l’alcool, les armes à feu….

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  • Pingback: Journal de mes nuits debout (épisode 3) | MARSAM

  • 30 mai 2016 at 22 h 52 min
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    Ce qu’il veulent c’est créer une haine entre la police et le reste des citoyens pour éviter que les deux camps s’unissent ce qui rendrait une révolution inévitable !

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