Tribune : pourquoi on ne pourra pas interdire Nuit Debout

EXPRESSION DEBOUT – De nombreux hommes politiques ont évoqué l’idée d’interdire Nuit Debout. Une participante, Clo, a décidé de leur expliquer pourquoi cela va être très compliqué d’anéantir tout ce qui s’est construit place de la République depuis un mois.

Ils peuvent toujours interdire la Place de la République à la Nuit Debout.
Ils peuvent toujours réduire cette foule à une bande d’ultra-bobo-islamo-gaucho-sans-cerveau-casseurs-pilleurs-coco-teufeurs.
Ils peuvent toujours transformer les manifestations en champs de bataille.
Ils peuvent toujours faire croire que cette bande d’individus irresponsables-radicalisés-dangereux-utopistes instrumentalise la jeunesse, les migrants, les précaires et les mécontents, et qu’ils sont plus nocifs pour la société et la démocratie que la violence érigée en système, l’inégalité en institution et l’injustice en norme.
Ils peuvent réprimer, interdire et passer en force.

Mais ils ne peuvent pas effacer la dynamique qui a germé et pris racine.
Ils ne peuvent pas effacer ces discussions politiques enflammées qui ont soudain émergé, dans les salons, dans ma coloc’, dans les cafés, dans les rues, dans les médias, sur internet, dans les facs.

Ils ne peuvent pas défaire les liens qui se sont tissés sur la Place, les réflexions qui se sont construites, les initiatives qui se sont créées, qui ont poussé.
Ils ne peuvent pas enrayer cette parole qui a pris de l’assurance, cette capacité à s’écouter qui a grandi, cet apprentissage de l’organisation horizontale, équitable, où chacun peut prendre une place, une responsabilité, où chacun peut partager et apprendre. Ils ne pourront pas détruire ce réseau, qui s’étend désormais dans les quartiers, dans les villages, à l’étranger.

République (panoramique 2)
Raphaël Georgy/DR

Ils ne pourront pas tuer la fraternité et le bonheur nés dans ces moments. Ils ne pourront pas m’enlever l’image des larmes de cette gamine de cinq ans, assise en AG, lorsqu’elle entend le témoignage de ce Malien de 15 ans qui vit sous les ponts.

On ne pourra pas m’enlever l’image de ce bout de chou de 9 ans, qui, entendant en AG un texte de Léo Ferré, écrit « Ferré » sur un papier, et le met dans sa poche « pour s’en souvenir plus tard ».

On ne pourra pas m’enlever le silence d’une foule assise par terre, concentrée, attentive, au milieu du vacarme de la ville.

On ne pourra pas m’enlever la puissance de cette même foule, se levant comme un seul homme pour aller entourer les migrants de Stalingrad. On ne pourra pas m’enlever Dvorak, Beethoven et Verdi, résonnant dans les rues de Paris.

On ne pourra pas effacer ces sourires et ces yeux cernés sur le visage des ces personnes debout, la nuit et le jour, de cette femme de ménage le jour et militante la nuit, de ce prof de lycée le jour et modérateur en AG la nuit, de ce SDF « Nomade mais pas clochard » la nuit comme le jour, de ces milliers de personnes aux parcours et origines diverses qui soudain se rencontrent et partagent.

Ceux qui ne veulent ni voir ni entendre regarderont ce « phénomène » en surface et le jugeront hâtivement, gênés de ne pouvoir définir cette foule hétérogène et ce mouvement aux contours mouvants, sans figure de proue représentative.

Nuit Debout, juste un peu de boucan, de brouhaha, de bordel sur la voie publique ? Peut-être…

République (panoramique 1)
Raphaël Georgy/DR

Clo

Crédits photos:

  • République (panoramique 2): Raphaël Georgy
  • République (panoramique 1): Raphaël Georgy
  • Nos rêves ne rentrent pas dans vos urnes: Nuit Debout

5 réactions sur cet article

  • 5 mai 2016 at 14 h 04 min
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    Très beau texte, merci. Pour ma part, je n’oublierai pas qu’il y a des milliers de gens qui se sont réunis pour changer le monde, et je suis convaincu que même si Nuit Debout est interdite, nous continuerons à essayer.

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  • 6 mai 2016 at 9 h 27 min
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    Re-bonjour à vous autres, debout le jour et la nuit debout. Allons droit au but: Ce ne sont pas nos corps qui sont debout, ce sont nos idées qui sont vent debout. Or, contre nos idées, que peuvent-ils? Ni flash-balls, ni lacrymo, ni soldatesque, ni maréchaussée, ni loi El Khomri, ni pouvoir, ni état d’urgence, ni pelotons, ni potences ne mettent des idées à terre.. Les idées essaimées germent, poussent, fleurissent, fructifient par elles-mêmes; rien ne les empêchent; rien.. « Et cependant, Elle tourne.. » Salutations..

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  • 7 mai 2016 at 23 h 40 min
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    Elles sont Où les idées politiques ? les propositions ? je ne trouve rien, ni sur le site, ni sur place

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  • 11 mai 2016 at 14 h 31 min
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    Je ne sais pas si les esprits retiendront cette richesse humaine…Du haut de mes 71 ans, je l’espère de tout cœur. Et je le crois. Quand on sème ( s’aime ? ) on récolte toujours . Merci pour ces lignes de poésie. Elles ne sont peut-être pas un programme politique…elles sont bien plus. Merci à toi, Clo.

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  • 11 mai 2016 at 22 h 16 min
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    Salut à vous !
    Je suis à La Rochelle debout et je peux vous dire que le mouvement ne va pas s’éteindre. Nous avons construit une grande scène ouverte pour des concerts, spectacles, ateliers de discussions et autres activités proposées par nuit Debout ( et aussi des projets municipaux puisque le but est de la partager avec tous ).
    C’est une scène tout en palettes mais bien solide et imposante. S’ils veulent nous virer il devront le vouloir !
    Nous avons un programme bien rempli chaque semaine et rien ne nous arrête ! Nettoyage de plage, atelier finance, éducation, manifestations…
    A bientôt et bon courage ! Soyons solidaires !
    ( nous contacter : nuitdeboutlarochelle@gmail.com / nuitdebout-larochelle.fr / sur Facebook Nuit Debout La Rochelle )

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