Nuit Debout Caen. Quand la presse s’en mêle… mal

REPORTAGE. La Nuit Debout qui s’est déroulée à Caen le vendredi 15 avril 2016 a connu un succès médiatique qui ne valorise pas forcément la mobilisation des quelques 300-400 personnes venues discuter place Saint-Sauveur. Voyons ce que l’on trouve sur Google en tapant « Nuit Debout Caen »…

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On s’étonnera de voir que la moitié de l’article repose sur les propos d’une certaine Justine. L’auteur s’est finalement contenté de les rapporter en y ajoutant quelques informations purement factuelles sur la fin de la soirée. La seule information qui traite de la situation avant l’intervention des forces de police tient en une phrase : « Rassemblées depuis 18h, en musique et autour d’un feu de palettes, les personnes ayant pris part à cette manifestation ont fini par être délogées par la police après des appels de riverains, vers 1 h 30 ce samedi ». Il faut dire que c’est une phrase assez longue, comparée aux cinq autres que le journaliste a pris la peine d’écrire sur le site… Les deux intertitres sont assez parlant : « Jets de lacrymogène » et « Quatre interpellations ». Mais soyons rassurés, samedi matin, la place est nettoyée de ces manifestants bruyants qui ont dérangé les riverains (dont le maire de la ville, qui habite place Saint-Sauveur…)

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On nous parle d’une nuit « agitée » et d’une police qui s’est « invitée » place Saint-Sauveur ! Lueur d’espoir, de la nuance dans cet article ! On ne peut effectivement pas reprocher à cet article d’essayer d’être objectif en présentant des témoignages et des tweets de manifestants qui amènent le lecteur à voir que les « versions divergent. » Il y a celle des manifestants qui consentent à baisser le volume de la une musique mais qui, malgré tout, sont chassés de la place de manière violente (ils ne nient pas que des projectiles aient été jetés aux policiers mais trouvent l’intervention de ceux-ci démesurée) ; et la version des policiers qui viennent pour la musique qui gêne les riverains et expliquent les altercations par la présence de « personnes fortement alcoolisées » (ce qu’on ne peut nier non plus…) qui auraient été violentes.

Dommage que l’auteur n’ait pas compris la raison de la présence des « 300 personnes » rassemblées : « des citoyens qui souhaitent notamment protester contre le projet de loi Travail défendu par François Hollande ». On ne fait part d’aucun autre sujet abordé entre 20h et minuit, heure à laquelle, selon l’auteur, « la situation a dégénéré » (on en vient à se demander si l’auteur était sur les lieux, car les informations ne sont même pas véridiques). L’explication de cette situation qui dégénère : « La manifestation Nuit debout n’avait pas été déclarée. La police est intervenue ». On peut pourtant noter que l’article se termine sur une sorte de jugement qui rend les manifestants fautifs : « La veille, la préfecture du Calvados avait invité les organisateurs de manifestations à déclarer leurs actions à l’administration. »

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Celui-ci est mon coup de cœur… Les manifestants ont « repris possession en début de soirée, ce vendredi, de la place Saint-Sauveur à Caen« . Plutôt intéressant : il est vrai qu’un des objectifs de ces nuitées est de se réapproprier l’espace public. Mais l’auteur ne le perçoit pas ainsi. Il prend en compte les « riverains [qui] appellent la police en pleine nuit  à cause du bruit jugé trop important ». Chacun conçoit qu’être dérangé dans la nuit est pénible, l’argument joue en défaveur des manifestants. Je ne sais pas si la phrase suivante mérite vraiment un commentaire : « Ils [les policiers] auraient dans un premier temps demandé aux occupants de la place de baisser le niveau de la musique avant de le faire eux-mêmes devant le refus d’obtempérer. » Des policiers qui demandaient gentiment, en tenue anti-émeutiers et armés de matraque…

On remercie l’auteur de poursuivre ainsi : « C’est à ce moment précis que les incidents ont eu lieu ». Quel moment précis ? Les indications de temps sont toutes plus ou moins floues : « début de soirée« , « en pleine nuit« , « vers 1h du matin ». Rien n’est précis dans cet article, car l’auteur n’était clairement pas place Saint-Sauveur vendredi. On peut le voir au nombre de précautions prises tout au long de l’article (qui n’est pas si long que ça) : « du bruit jugé trop important », « ils auraient » qui apparaît trois fois… Mais là encore, ne nous inquiétons pas; citoyens, car « ce samedi matin, la place Saint-Sauveur à Caen avait retrouvé son calme après avoir entièrement été nettoyée. » La vie peut continuer.

La fin de l’article est plus qu’évocatrice, avec ce « selon eux » entre deux virgules et le conditionnel journalistique. On nous pousse à croire que les organisateurs ne perçoivent les incidents de la nuit qu’en fonction d’un parti pris, voire qu’ils inventeraient les violences policières… « Les organisateurs de la ‘Nuit Debout’ caennaise ont déploré ‘les violences policières’ dont ils auraient été, selon eux, victimes. »

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Cet article présente avant tout le point de vue policier et, bien qu’il mentionne des « versions qui divergent avec les manifestants », il ne trouve pas intéressant de préciser le point de vue de ces derniers. Il se contente de préciser que les personnes présentes sont « hostiles au projet de loi Travail », sans pour autant développer plus…

Un des sous-titres est assez évocateur, et réducteur à l’encontre de la présence citoyenne de vendredi : « De la musique contre le projet de loi Travail ». Il faut aussi préciser que l’article met un lien vers la déclaration de la préfecture, que l’on ne peut pas qualifier d’entièrement objective étant donné que la police était partie prenante du conflit… On nous rappelle également que « la veille, la préfecture du Calvados avait invité les organisateurs de manifestations à déclarer leurs actions à l’administration. » Étrange comme la formulation reste exactement la même d’un site à l’autre…

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Tendance Ouest nous décrit ainsi la soirée : « Autour d’un feu de palettes, musique et discussions ont alimenté la soirée ». On voudrait donner l’image d’une bande de hippies qui se réunit qu’on ne s’y prendrait pas autrement… Quelques tweets de la page Nuit Debout permettent quand même de nuancer le propos, bien qu’ils ne soient suivis d’aucun commentaire… L’en-tête de l’article précise : « À 1 h 30 du matin, elles ont été évacuées par les forces de l’ordre avec des scènes d’affrontements qui constituent une première à Caen dans le cadre de ce mouvement. » Manière de sous-entendre qu’il y a déjà eu des affrontements avec les policiers ? Dommage que ce point ne soit pas plus développé.

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L’article fait encore part de « versions qui divergent ». Mais mis à part un tweet de la page Nuit Debout et d’une référence à la page Facebook du mouvement, il n’est question que du compte rendu de la préfecture, cité quasiment en entier… On évoque la présence dans « le cadre du mouvement Nuit Debout« , sans même s’attarder à le présenter, ni à savoir quels ont été les avancées de la nuit du 15 avril. L’originalité de l’article tient dans le dernier intertitre utilisé : « Les manifestants devraient remettre ça ce soir ! » Qu’on se rende bien compte : même quand ils sont poussés à se taire, ces fous qui allument des feux de palettes et écoutent de la musique trop fort continuent ! N’ont-ils pourtant pas compris le message clair de la préfecture ?

Conclusion

On peut reprocher à ces textes de ne s’appuyer que sur des articles régionaux qui ne proposent pas une réelle analyse du mouvement Nuit Debout. Il est vrai que la plupart, assez courts, ne sont là qu’à titre informatif pour un lectorat qui souhaite lire rapidement les infos du jour. Rappelons néanmoins qu’ils sont présents en première page de recherche sur Google le samedi 16 avril 2016.

On peut également souligner avec l’édition de Ouest France daté du dimanche 17 avril que la situation est la même dans les journaux papiers. On retrouve d’ailleurs le même témoignage de « Justine »… Bien que plus long et mentionnant les débats, l’article insiste encore sur le fait que le mouvement n’était pas déclaré. Les violences policières sont évoquées, tout autant que celles des manifestants.

Le quotidien Ouest France tire à plus de 700 000 exemplaires. On peut ainsi se demander quel impact ont de tels articles sur le mouvement. Peut-être rendent-ils certaines personnes sceptiques, et les empêchent-ils de se rendre à ces réunions citoyennes. L’objectif ici est donc de montrer le poids des mots, utilisés de manière consciente ou non, par les auteurs de ces articles. De voir que les mêmes termes reviennent fréquemment et participent à donner une vision lisse, sans nuances, d’un événement. Peu de ces articles renvoient à une description concrète de la soirée. Il est également frappant de préciser que ces articles connaissent un rayonnement important en terme de lectorat et que beaucoup de personnes sont ainsi influencées par une presse qui cherche à vendre et s’attache à ne pas fatiguer son lecteur.

Il faut donc, pour accompagner le mouvement citoyen, une presse libre et où chacun peut être publié. Par-dessus tout, il faut le promouvoir sans le faire rentrer dans une logique économique qui pollue l’information.

Cela existe déjà à Caen :

Nuit Debout Caen

NB de Gazette Debout : à 2h du matin nous étions sur le Chat Nuit Debout quand les incidents entre la police et les participants à Nuit Debout ont débuté. Nous avons tous ressenti l’inquiétude des activistes face aux violences policières.

Nuit Debout Caen

A l’époque, Gazette Debout avait deux ou trois jours et nous étions déjà connectés pour refléter ce qui se passait vraiment à Nuit Debout. La question que nous posons est : pourquoi les médias ne font-ils pas la même chose ? Retranscrire ce qui se passe ! C’est une question de blonde, je sais… :)

Crédits photos:

  • Ouest France: DR
  • Normandie Actu: DR
  • France Bleu: DR
  • F3 Normandie: DR
  • Tendance Ouest: DR
  • La manche libre: DR
  • Racailles média: Gazette Debout
  • ND Caen: DR
  • Slogan ND Caen: DR

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