L’Hôpital : vers une convergence des luttes ?

CONVERSATION DEBOUT – Notre journaliste Anne a participé à la commission Hôpital Debout. Voici sa conversation avec Olivier, infirmier.

Avec Olivier nous rejoignons le grand cercle. Il est 21h. O., infirmier à l’Hôpital Henri Mondor à Créteil, assure la modération. Debout, vêtu de blouses blanches, côte à côte avec les usagers, le personnel soignant animera plus tard dans la nuit des ateliers participatifs sur le financement de la protection sociale, l’hôpital de demain, le dispositif psy-soins-accueil, la démocratie sanitaire et la convergence des luttes hospitalières.

Olivier a lancé un cri d’alerte, un cri du cœur. Il est intarissable sur le sujet. Voici son témoignage.

« La fonction hospitalière galère grosso modo depuis dix ans. Avec les politiques de financement de la protection sociale et de la santé, on va droit dans le mur. Suite à des politiques budgétaires restrictives, nos conditions de travail se sont dégradées. Tout a été réduit, le budget, mais surtout la qualité et la sécurité des soins, qui sont gravement en danger. »

« En 2015, il y a eu de grands mouvements sociaux dans la Santé, un mouvement que l’on n’avait pas connu depuis vingt ans. Actuellement, nous nous battons contre la réorganisation du temps de travail dans la fonction publique hospitalière qui va être décidée le mois prochain.  Nous n’avons plus les moyens ni le matériel de faire notre métier. Le patient est une personne, et pas seulement une pathologie. L’hôpital est en souffrance. Nous, infirmiers, mais aussi personnel médical en général, sommes en souffrance au travail. Nous avons peur. La sécurité et la qualité des soins se dégradent, et surtout, le facteur humain est annihilé. Nous n’avons plus le temps de parler aux patients. Soigner c’est aussi prendre soin, du corps, mais aussi de l’âme du patient. C’est pour ceci que nous sommes debout, pour vous parler, patients et usagers. Restez debout, l’heure est grave pour vos droits fondamentaux. »

Nous lançons un appel à Nuit Debout pour rappeler que la Santé est un droit fondamental, et il est question de redéfinir la société pour un accès équitable aux soins. Tous les jours en France, les plus démunis s’excluent eux-mêmes des soins. Nous militons contre la mutualisation et la financiarisation de la santé via des assurances privées. Nous voulons un financement par la sécurité sociale à 100%. Nous attirons l’attention sur la manipulation de l’opinion publique, car le prétendu déficit abyssal de la Sécurité Sociale s’élève à 40 millions d’euros sur un budget d’un milliard d’euros. C’est si peu d’argent…

« Nous sommes dans le même bateau. Patients et personnel hospitalier. Nous ne sommes pas bien quand nous sortons de notre service après une journée de travail. Parfois, à la fin de la journée, nous quittons notre poste et nous souffrons, parce que nous savons que le travail n’a pas pu être fait comme il aurait dû l’être. Nous ne pouvons plus nous consacrer à notre cœur de métier : soigner. Nous souffrons, et les patients souffrent. Nous nous battons pour bien faire : plus de personnel, de meilleurs moyens. »

En tant que militante pour une Fonction publique Debout, j’interviens à mon tour après O. : « nous subissons tous les effets de la nouvelle gestion publique, qui s’inspire de la gestion des entreprises privées : il s’agit d’appliquer à la fonction publique des mécanismes d’entreprise. Depuis 2001, la loi organique des finances (LOLF) pilote la fonction publique avec des « contrats d’objectifs et de moyens ». Mais les objectifs chiffrés, appliqués de façon incompatible avec la mission publique, constituent une remise en cause des principes fondateurs. Ainsi, les marges de manœuvre budgétaires s’inscrivent essentiellement dans l’économie et la gestion des ressources humaines. Par exemple, pour dépenser moins d’argent, un directeur de programme ou d’hôpital, puisque nous parlons ici du secteur de la santé, va supprimer des postes ou décider de ne pas les renouveler. En gros, ont fait systématiquement reposer les dysfonctionnements structurels de la fonction publique sur le personnel. »

Les interventions se bousculent, les participants se relaient pour parler dans le cercle.

J’utilise le signe « réponse directe » : « C’est pour quand, les jurys citoyens qui évaluent les décisions et les dispositifs publics ? Je pense qu’on en est encore loin. »

Une jeune femme prend la parole : « Ce qui m’a sauvée, ce ne sont pas les médicaments lorsque que j’étais hospitalisée en psychiatrie, mais l’art-thérapie. Pendant tout ce temps où personne ne m’écoutait autour de moi, j’ai pu enfin parler, m’évader, m’exprimer ! J’ai perdu 20 ans, les mots ça a de l’importance, j’ai revécu grâce au slam. »

J’utilise à nouveau le signe de réponse directe : « Combien d’argent ce soin, l’art-thérapie – menacée comme d’autres dispositifs de rentabilité à court terme – a-t-elle fait économiser en termes de médicaments, d’hospitalisations ? C’est bien la preuve qu’il faut affiner les dispositifs d’évaluation du secteur public et associer les usagers. »

La jeune femme reprend : « Ma copine était une bipolaire émotionnelle. Elle a une histoire familiale compliquée. Elle a consulté au CHU de Nantes. A l’issue de ça, je l’ai retrouvée à la maison complètement amorphe, comme shootée, elle était devenue l’ombre d’elle-même. Elle était très active dans la vie, avant; je ne pense pas qu’un mal-être dû à l’enfance se soigne en faisant taire une douleur via l’abrutissement par les médicaments. On a tout jeté à la poubelle. »

J’aimerais encore répondre, mais on me fait signe que je prends trop la parole. Je lui poserai la question plus tard. « As-tu pu te plaindre d’un soin visiblement mal adapté ?  L’évaluation systématique des soins dans l’hôpital, et leur intégration dans l’évaluation annuelle des médecins, serait très simple sur informatique. Je sais qu’il y a des recherches sur la difficile évaluation des soins en psychiatrie des patients : ‘Quand est-ce qu’un jury citoyen enquêtera sur les ratés en soins, voire les fautes professionnelles ?’ »

Un jeune homme intervient : « Je suis handicapé à 80%. Je fais des crises d’angoisse. Ma maladie mentale a commencé à l’âge de 4 ans. J’ai fait deux tentatives de suicide. A l’école, on se moquait de moi. Je voulais faire de la musique, composer, être chef d’orchestre. Je suis fier d’être ici et de parler en public, de me battre aux côtés des médecins. Sans eux, je ne serais pas là où je suis aujourd’hui. Je le dis, enfin, ici devant vous tous, je suis libre. »

Je suis touchée, impressionnée, il a pris la parole hier devant 500 personnes. Il nous montre l’ouverture, l’amour, le cœur que permet l’assemblée générale. Il me semble qu’à travers la lutte, il a pu construire qui il est, il a pu devenir actif au sein d’un système qu’il a subi depuis l’âge de 14 ans. J’entends un « merci » – peut-être un membre du personnel soignant ému de le voir lutter là avec eux. Il aurait voulu devenir compositeur, mais il est là, et libre.

« Je travaille dans la pharmacie hospitalière. On nous gère comme des travailleurs à la chaîne, je vois tous les jours la souffrance de l’hôpital public dans sa globalité. C’est le sentiment de tous, infirmiers, internes. »

Là je me demande encore : « Quand allons-nous prendre en considération la souffrance au travail ? Combien de suicides a-t-il fallu en France pour qu’on commence à prendre en compte la destruction de personnes, mais aussi de branches professionnelles ? Nous avons les moyens, en sciences humaines, de témoigner, de mesurer la souffrance au travail, la souffrance de branches entières comme celles des agriculteurs. Le pouvoir politique, l’administration française dispose de chercheurs qualifiés; quand allons-nous nous saisir, en tant que citoyens, des instruments pourtant simples, des rapports ? »

Nous discutons sur le port de la blouse blanche; est-ce qu’il divise ou unit ce cercle ?

Je pense qu’ils sont là en tenue de travail pour témoigner, pour que l’agora, la parole, puissent advenir. On a complètement perdu, en adhérant à la valeur travail, la valeur de l’être humain. Le bonheur de travailler, la souffrance des patients et des soignants…, bref, l’amour. L’amour, quoi ! Je suis debout et je veux le crier. Mais c’est l’amour, on ne le dit pas, nous nous parlons, nous nous croisons.

Olivier poursuit : « Aujourd’hui, on attaque la fonction publique; mais savez-vous que nous avons un traitement, et non un salaire, une contrepartie pour un engagement d’intérêt général, et que nous sommes statutairement assujettis avant tout à la défense des usagers, et que notre statut fait écho à la continuité du service public ? Peut-on vraiment tenir pour acquis que les fonctionnaires sont par essence démotivés ? Qu’il faut les gérer au martinet ? »

« On a les moyens de bien faire. La santé, les politiques publiques. Nous sommes debout, les moyens sont là, il faut juste faire converger nos luttes ! »

Ce que l’on ne dit pas. C’est l’amour. Est-ce un dialogue de sourds entre les personnes qui interviennent tour à tour ? Non, ce cercle debout est un format particulier. Ce que j’ai retenu, c’est l’émotion de tous, des patients qui écoutent, des futurs usagers, cette alerte d’une institution en souffrance. Managés à la chaîne, ils sont là, avec leur blouse, parce qu’ils sentent que leur travail est en danger. Ils sont debout dignes, parce qu’ils aiment leur métier.

Conversation debout d’Anne W.(alder) avec Olivier youinou.olivier@gmail.com

Crédits photos:

  • Grève générale: Stéphane Burlot / DR

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