De l’agora… à l’itinérance ?

EXPRESSION DEBOUT – Avant de désigner le lieu où se produisait l’assemblée, le mot agora signifia d’abord dans la Grèce antique l’assemblée elle-même. L’assemblée, en se constituant, constitue elle-même un lieu, qui institue comme agora le lieu où elle a lieu. L’agora est le contraire de l’utopie (qui signifie, littéralement, le « non-lieu »).

L’agora antique n’était pas une place, mais une ville dans la ville. C’est aussi ce qu’est devenue la place de la République depuis que l’assemblée Nuit Debout y a lieu. La place est devenue une petite cité à l’intérieur de la cité, avec ses différents espaces consacrés aux discussions, prises de parole, débats etc., et sa cantine, son infirmerie, sa bibliothèque, son jardin, sa fontaine, sa radio, sa télévision, ses lieux de fête et de musique. Elle eut ses tentes aussi, où l’on dormit, ses baraques, ses bâches, ses palettes, ses planches, ses matériaux de construction de bidonville, dont certains finissent la nuit en feu de joie au milieu de la place, avant d’être renouvelés le lendemain.

Agora

Après trois semaines de cette agora, une autre assemblée s’est réunie, plus classiquement, à la proche Bourse du Travail, pour essayer de déterminer quelle suite donner au mouvement. Certains, en particulier parmi les intellectuels qui l’ont lancé en réaction à la loi Travail, souhaitent une organisation plus efficace de la convergence des luttes, un passage à l’action de masse – grève générale, défilé géant avec les syndicats… Toutes actions politiques à l’ancienne qui tentent parfois moins ceux qui font concrètement Nuit Debout, nuit et jour dans l’agora (et/ou sur Internet, prolongation de l’agora) et sur de plus en plus de places ou d’autres lieux des villes et villages de France et d’ailleurs.

L’action est nécessaire, mais elle paraît moins absolument urgente à ceux qui n’ont pas la frustration d’attendre que quelque chose se passe : l’utopie, pour eux, n’est pas pour demain, elle est là, tout de suite, jour après jour et nuit après nuit. Ou plutôt : si pour certains Nuit Debout reste une utopie, un non-lieu, puisqu’ils ne vivent pas dans la place mais encore dans l’ancien monde, pour ceux qui habitent concrètement la nouvelle ville dans la ville, le nouveau monde dans le monde qu’est Nuit Debout, le but est essentiellement de continuer, sans forcément de stratégie précise mais en faisant confiance à l’esprit de l’agora en train de se vivre pour conduire les Nuits Debout à s’étendre, à évoluer naturellement et à remplacer, le temps venu, l’ancien monde au cœur duquel elles auront pris place.

Agora

Car stagner tue. La « maison Usher » d’Edgar Poe finit par se disloquer et tomber dans la mare où elle se reflète depuis trop longtemps. Il ne s’agit pas de s’attacher à la place de la République (ou à une autre) comme à un refuge. Ni de s’accrocher aux jupes de la statue, toutes pendantes de souvenirs de mort. Le beau renouveau de vie finirait par se laisser gangrener par sa part de morbidité, et les problèmes se multiplieraient : car il est impossible de gérer longtemps dans des conditions dignes un lieu conçu comme expérience en train de se faire, donc non achevé mais nécessairement provisoire (d’autant que l’autre monde, avec son autre fonctionnement, l’entoure, et que, heureusement, il y est ouvert).

D’ailleurs certains se mettent déjà en marche, projettent ou font des Nuits Debout itinérantes, à l’intérieur d’une ville ou à l’échelle du pays… peut-être un jour à l’échelle du monde ? Les allures de campement rom de l’agora conduisent tout naturellement, par leur dépouillement et leur désir de liberté, au déplacement, au voyage.

Alina Reyes (Twitter : @aAlinaReyes)

Photos © Julien Marrant.

Crédits photos:

  • Agora 2: Julien Marrant
  • Agora 3: Julien Marrant
  • Agora 1: Julien Marrant

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