Reportage “Renault, debout, soulève-toi !”

Ce mardi à l’aube, un peu plus de 110 manifestants de Nuit Debout se sont retrouvés devant l’entrée du Technocentre Renault (Yvelines) pour soutenir un ingénieur prestataire de l’entreprise mis à pied pour avoir envoyé un mail à des syndicats les invitant à projeter le film Merci Patron !

A 7 h 30, les salariés de Renault qui arrivent au travail aperçoivent, interloqués, les manifestants de Nuit debout. Ceux-ci se tiennent devant les entrées des hauts bâtiments vitrés du Technocentre en scandant “Tous ensemble, tous ensemble, grève générale !”. Certains attrapent fébrilement le tract qu’on leur tend, de peur qu’on les apostrophe ou que les manifestants réagissent violemment. On ne sait jamais… D’autres lancent “On est avec vous !” et s’arrêtent pour discuter. Pour Nuit Debout, l’important est de se faire connaître auprès des salariés afin que les luttes sociales convergent.

La plupart des salariés du Technocentre sont des cadres, notamment des ingénieurs. Nuit debout vient soutenir un ingénieur prestataire de Renault mis à pied pour avoir envoyé un mail à des syndicats de Renault les invitant à organiser des projections du film Merci Patron !, dans lequel François Ruffin et un couple de chômeurs tournent le groupe LVMH en ridicule. Le film a été un des déclencheurs du mouvement Nuit debout.

Le salarié en question, la trentaine, est ravi : « Je suis très content de voir qu’il y a quand même beaucoup de monde. Je ne le prends pas pour moi personnellement, même si certains ont dit qu’ils étaient venus là pour moi, c’est un rassemblement général. J’espère que ça fera parler à l’intérieur, que ça fera réfléchir plusieurs personnes. » La première mise a pied s’est soldée par un avertissement, mais il raconte avoir été mis à pied une seconde fois pour avoir enregistré et publié les propos de son PDG lors de sa convocation.

“Les gens viennent à la Nuit debout à Saint-Quentin avec leurs enfants”

Il a été entendu hier dans cette procédure et il devrait être fixé sur une éventuelle sanction dans les prochains jours. Cette deuxième procédure peut aller jusqu’au licenciement. Mais désormais, il ne souhaite plus travailler pour Renault, pour lequel il est prestataire depuis dix ans, et espère une rupture conventionnelle. Un manifestant lui lance : “N’hésite pas à passer à République”. “J’y passerai !”, répond-il.

Arthur *, cadre moyen chez Renault, trentenaire également, ne comprend pas cette affaire. “Il y a une tolérance, habituellement. Je trouve ça décevant et c’est pour ça que je suis là. Il a d’ailleurs participé à la première Nuit debout à Saint-Quentin-en-Yvelines et est venu tracter discrètement avec les manifestants. Et pourtant, “je m’éclate au travail”, dit-il avant d’ajouter : “En même temps, que mon patron gagne 12 millions d’euros, je trouve ça délirant. »

Nuit Debout devant les usines Renault
La Nuit debout distribue des tracts aux salariés de Renault

Il nous explique que les dividendes des actionnaires ont augmenté beaucoup plus vite que les salaires des employés ces dernières années. “Il y a eu une importante vague d’embauche il y a cinq ans, mais une grosse partie d’entre eux se sont barrés, alors qu’ils étaient compétents, parce qu’ils n’y a pas de reconnaissance du travail, pas d’augmentation”, raconte-t-il.

A Nuit debout au contraire, cet ancien scout est sensible au sens du collectif : “Ce que j’apprécie le plus, c’est qu’il y a plein de gens qui ne sont pas d’accord mais on ne se tape pas dessus, et ça c’est bien ! (rires) Un climat de bienveillance ». Il ajoute : “Si les gens viennent à Nuit debout Saint-Quentin avec leurs enfants, des gamins de 7 ou 8 ans, c’est qu’ils se sentent en sécurité. Pas au milieu d’une bande de gens qui viennent seulement gueuler, mais qui veulent construire.”

“Plus punchy qu’à Pontivy”

Construire une société dans la société, Nina, 43 ans, l’a expérimenté à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Elle est venue de Bretagne participer à la Nuit debout parisienne, “plus punchy qu’à Pontivy”, et entonner avec les manifestants des chants de lutte syndicale. Dans la navette qui les conduisait de la gare RER au Technocentre, c’est elle qui entonnait d’une voix forte et timbrée : “Ah que je gagne du fric à l’ai-se, quand y a pas d’rè-gles pour l’emploi, j’ouvre et je ferme les usi-nes sans me soucier des ou-vriers !”. Et le groupe reprenait en choeur.

NIna a commencé par être traductrice en doublant “des séries débiles” de l’anglais en français, puis connu une période de chômage avant de devenir institutrice. Mais suite à la déclaration de l’état d’urgence, elle a envoyé sa lettre de démission à la ministre de l’Éducation nationale. “On rentrait en dictature”, lance-t-elle.

Nuit Debout devant les usines Renault
Nuit debout avec vous

« Nuit debout avec vous ». Photo R.G.

La mobilisation contre la loi El Khomri lui aurait même donné raison : “Il y a encore dix ans, le gouvernement aurait cédé devant la rue”. Ce qui l’intéresse dans Nuit debout, c’est l’autogestion, le système de solidarité qui s’organise. C’est à chacun d’entre nous de se libérer du salariat, l’être humain n’est pas fait pour faire une seule chose, et surtout pas un seul geste”, dit-elle. Elle faisait jadis partie du syndicat Sud. Aujourd’hui elle le juge “trop mou, trop gestionnaire. Pas un syndicat de lutte”.

Il est 10 h et les manifestants reviennent des différents accès au site. Christian Morel, syndicaliste à Sud chez Renault depuis quinze ans, est satisfait : il s’attendait à une trentaine de manifestants. Ce que Nuit debout apporte vraiment aux syndicats ? De l’enthousiasme, des initiatives, de la révolte”, répond-il. Il s’intéresse au mouvement de près, mais précise : “On peut occuper la place de la République pendant des années, tant qu’on ne touche pas au nerf de l’économie et que les travailleurs ne s’y mettent pas, c’est ‘cause toujours, tu m’intéresses !’. » La convergence des luttes : la condition sine qua non de l’aboutissement de Nuit Debout.

Grégory Halpaé

Crédits photos:


Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *