De la violence des rives

OPINION. Il y a un dualisme « casseur-nuit deboutiste » que je voudrais déconstruire. Ce dualisme sert particulièrement le gouvernement, la Préfecture de police et la rhétorique d’éditorialistes condescendants (Laurent Joffrin en tête) qui nous le répètent : les échauffourées et dégradations de matériels portent atteinte à la crédibilité de votre mouvement.

Il a ainsi été demandé plusieurs fois à Nuit Debout de dénoncer les violences en marge des rassemblements et des manifestations. Ne tombons pas dans le piège. Nous ne sommes pas juges, nous ne sommes pas des soldats du maintien de l’ordre.

Ne nous laissons pas enfermer dans leur rhétorique. Le week-end dernier à l’AG, l’intervention d’Orestre m’a interpellé. Il a dit : « Pour Cazeneuve, un tag c’est de la violence ». Il faut en effet s’interroger sur ce que signifie « violence » et « casseur » dans la bouche de nos politiques. Ces éléments de langage sont loin d’être innocents. En réduisant ces jeunes incriminés à l’identité (fourre-tout) de casseurs, on fait bien plus que leur confisquer la parole, on désavoue leur colère.

La victoire de nos gouvernants est là. Commencer à se questionner, à poser les questions : « Pourquoi détruisez-vous des vitrines ? » « Pourquoi attaquez-vous les distributeurs des banques ? », c’est tenter de remonter à la cause. C’est pointer du doigt les failles de notre État providence, les injustices sociales, l’indigence dans laquelle vit une partie de la population dans les banlieues et dans les zones paupérisées de France. (Il faudrait aussi parler de Mayotte).

Le gouvernement voudrait nous faire croire que brûler une voiture de police, briser les vitrines des multinationales, taguer les distributeurs des banques, ce n’est pas un acte politique. Que s’attaquer aux symboles de l’état d’urgence, de la société de consommation et de la finance immorale (c’est presque un pléonasme), ce n’est pas un acte politique.

Ils nous prennent quand même pour des cons !
Ils nous croient amnésiques.

militant

Je ne suis pas ici pour dénoncer la violence de jeunes qui ont toutes les raisons du monde d’être en colère. Des jeunes à qui on confisque la parole depuis toujours.

Cette violence met nos gouvernants et les classes dominantes terriblement mal à l’aise, elle est socialement inacceptée car « elle dévoile le pouvoir à la nudité de sa seule force », pour citer Olivier Roy.

Je suis ici pour dénoncer une violence qui ne fait pas l’ouverture des journaux télévisées. Celle qui ne fait ni bruit ni flammes. Cette violence a mille visages : ce sont les humiliations au travail des dominants sur les dominés, ce sont les contrôles de police au faciès, ce sont les familles qui en sont réduites à se nourrir au Secours populaire, ce sont les discriminations dont sont victimes les personnes handicapées et les minorités, les oubliés de nos banlieues et de nos campagnes.

C’est la fracture sociale toujours plus large.

Cette violence sociale, fruit de la libéralisation tout azimut et des privations des droits sociaux, est bien plus intolérable que les jets de pierre, les voitures incendiées et les vitrines cassées. Cette magnifique phrase de Bertold Brecht résume tout cela : « On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent. »

Hier à l’AG, un intervenant a dit : « il faut arrêter les petites bêtises ! » Il faisait référence à la voiture de police incendiée dans la nuit de vendredi à samedi.  Je refuse d’appeler cela une « petite bêtise. » C’est une insurrection, c’est un acte politique. Alors aux JT et à Matignon, on agite allègrement l’épouvantail du casseur. On créé des hiérarchie dans les colères.

Ne tombons pas dans le piège. La rage de ceux qu’on appelle les casseurs est aussi légitime que la nôtre, la rage qui a enflammé les banlieues en 2005 était aussi légitime que la nôtre.

Ne nous laissons pas diviser.

Sophie

Crédits photos:

  • Militant: Gazette Debout
  • Indignez-vous: Flo

3 réactions sur cet article

  • 24 avril 2016 at 14 h 04 min
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    Les « Debout La Nuit » ne sont pas debout par plaisir ni pour être debout. On en a ras tout ce que vous voulez, de la violence; car la violence ce n’est pas que le coup de poing dans la gueule; la violence, vient des spéculateurs qui participent à la paupérisation des « gens de peu »; la pire violence, c’est de voir des gens se pavaner au volant de bagnoles type grosses allemandes, au beau milieu de gens qui n’ont de ressources que les minimums sociaux, condamnés à l’humiliation du chômage récurent; et cela dans une île de l’outre mer qui ne produit rien qu’un peu de sucre, de rhum, de vanille; île qui importe jusqu’au papier cul par navires entiers, des carottes de Chine, etc.. Île qui vit sous perfusion permanente, que  »la métropole » porte à bout de bras; île où la droite et ses copains socialistes honteux font et pluie et beau temps. Et là dedans, les « Nuits debout » rament face une population anesthésiée et assistée, qui ignore tout se qui se passe Pl. de La République. Rien dans les médias locaux. On a beau être au soleil, la violence invisible n’en est pas moins ignoble. Salutations à vous, merci et tenons « Debout La Nuit ».

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  • 24 avril 2016 at 15 h 28 min
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    Bonjour Sophie, merci pour ton texte! Cette violence des « casseurs » fait la une des média et Le Gouvernement s’en sert pour rassembler les français contre « Nuit Debout », un mouvement audacieux qui permet enfin à chacune et chacun de s’exprimer, d’où la peur du Gouvernement et de bien d’autres qui n’ont pas intérêt à ce que chacune et chacun se mette à réfléchir, à s’informer, à s’exprimer, à échanger, à mettre en œuvre des actions collectives pour changer une société qui repose sur un mode pyramidal. Toutes ces autres formes de violence au quotidien que tu évoques Sophie dont on parle peu hélas dans les média méritent d’être portées au grand jour, d’être collectées, de pouvoir être enfin exprimées et écoutées. On pourrait par exemple diffuser une affiche du genre: « Vous êtes victime d’une violence sociale ( licenciement abusif, exclusion sociale, conditions de travail inhumaines, impossibilité de trouver un logement, chantage de la part de votre employeur, impossibilité de pouvoir vous exprimer et d’être écoutée… ) Ecrivez à … (adresse de Nuit Debout ou Autre???)  » afin de pouvoir collecter tous ces témoignages et les porter au grand jour. Alors peu à peu l’opinion mesurera l’étendue réelle de ce qu’on appelle « la violence », cette prise de conscience collective peut faire bouger les choses! Ne laissons plus impunis tous les actes de violence sociale commis chaque jour!

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  • 24 avril 2016 at 16 h 13 min
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    Je suis entièrement de cet avis. D’autant que le désir de dialogue, de consensus, ne semble pas être la préoccupation majeure du gouvernement actuellement, quant aux revendications de la rue. Il ne faut pas être devins pour affirmer que leur arrogance habituelle se traduira par une répression forte, avant d’imaginer la moindre tentative d’ouverture. Et la violence « de la rue » qu’ils stigmatisent déjà, n’est qu’un premier aveu d’intransigeance, et de résistance au changement qui s’annonce. Claire

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