De la liberté d’informer #NuitDebout

EXPRESSION DEBOUT. Plusieurs atteintes à la liberté d’expression et d’information ont émaillé le mouvement Nuit Debout ces derniers jours.

Je pense à la réunion non-mixte (je ne rentrerai pas dans le débat sur la mixité) qui affichait il y a quelques jours « pas de photo svp » comme en témoigne un cliché d’Alain Keler. « Pas de photo » …. comme dans le métro ! La place de la République est un espace publique. Au-delà de privatiser quelques mètres carrés, cette injonction est une atteinte à la liberté d’expression et d’information.

Je pense aussi à ce journaliste de France 2 qui a été empêché de faire son duplex. Ne vous méprenez pas, je n’écris pas cela pour pleurer sur son sort ! Je ne suis pas animée par une logique corporatiste. Je rejette simplement chaque acte de censure. Sans concession, sans compromission.

Je le concède, les informations transmises aux JT sont souvent simplistes, consensuelles et manichéennes. Raison de plus pour ne pas tomber dans le même piège. Vous dénoncez la censure et la pression faite aux journalistes (tous pourris tous achetés si on en croit le discours dominant vis à vis des médias) par les actionnaires et l’Etat, ne devenez pas censeurs ! Ne reproduisez pas ce que vous dénoncez !

J’ose croire que la plupart de mes confrères sont animés par la volonté de rendre l’information avec honnêteté et rigueur. On ne choisit pas de devenir journaliste pour le lucre (on tomberait de haut) ou pour la gloire, mais par nécessiter de rapporter et de partager ce que l’on voit, entend et comprend d’un événement.

Mais il faut le dire, c’est devenu de plus en plus difficile de faire ce travail d’enquête, de rigueur et d’analyse (sans parler de la directive européenne protégeant le secret d’affaire et adoptée à 77% par les députés). Logique d’audimat, crise de la presse, info en continu… Les journalistes sont en conflit de loyauté, pour citer Roland Gori, entre leur déontologie et les ordres de leur hiérarchie. Entre les injonctions de production (il faut faire du contenu plutôt que de l’information) et le temps nécessaire à la réflexion. Qui mieux que Gilles Deleuze exprime cette dérive de l’information et de la communication en continu : « …le problème n’est plus de faire que les gens s’expriment, mais de leur ménager des vacuoles* (espaces) de solitude et de silence à partir desquelles ils auraient enfin quelque chose à dire. »

Nous souffrons de l’absence de vacuole de réflexion.

Nous sommes déchirés entre l’éthique de notre métier et la logique capitaliste et actionnariale qui pèse sur nous à travers la structure hiérarchique des groupes de presse. Nos rédacteurs en chef sont devenus des managers, plus occupés à justifier les décisions de leur patron (coupe dans les budgets piges, dans les budgets de déplacement, dans les salaires, suppressions de postes…) qu’à défendre leurs journalistes.

Alors comment résister quand une telle précarité pèse sur notre métier ?

Je n’essaie pas là de défendre les raccourcis journalistiques que l’on peut lire ou entendre, les malhonnêtement intellectuels de la « chefferie éditocratique, qui confisque la parole autorisée », comme l’exprime Frédéric Lordon. J’essaie de déconstruire le manichéisme que j’entends souvent aux assemblées générales de Nuit Debout, et qui fait des « Médias » une sorte de machine désincarnée et met dans le même sac photographes freelances, stagiaires iTélé, polémistes sulfureux (Alain Finkielkraut mais pas que…), JRI de France Télévision, journalistes de Radio France, documentaristes, et torchonistes d’extrême droite.

Quand je viens à République avec mon appareil photo, je viens pour témoigner et participer à ce mouvement social, pour faire de la politique, et je ne représente d’autre média que moi-même. Je fais partie de « ces journalistes de terrains qui sont sur la place. Ils sont jeunes, ils sont précarisés. Pour bon nombre d’entre eux, ils ont toutes les raisons du monde de se reconnaître dans le mouvement » (cf Frédéric Lordon). La photographie est un langage, et on ne doit confisquer aucun langage. On peut le dénoncer, le critiquer, le questionner, mais l’interdire… NON !

On ne négocie pas avec la liberté d’expression et d’information. Je refuse de lâcher un morceau de terrain de cette liberté.

Sophie E

 *vacuole : Les vacuoles sont des compartiments délimités par une membrane (tonoplaste), remplis d’eau et contenant diverses molécules inorganiques et organiques telles que des enzymes. La vacuole n’a pas de forme ou de taille particulière, sa structure variant en fonction des besoins de la cellule. (wikipédia)

Crédits photos:

  • Marianne devant la statue: Nuit Debout

13 réactions sur cet article

  • 23 avril 2016 at 14 h 49 min
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    Je crois que dans ce vacarme, il faut choisir son photojournalisme.. » Entre les injonctions de production (il faut faire du contenu plutôt que de l’information) et le temps nécessaire à la réflexion. » C’est à dire pour mon époque, faire du Sygma ou du Magnum, en fait, soit courir partout avec la meute ou choisir des sujets qui prennent des mois voire des années. Je pense qu’aujourd’hui c’est encore vrai

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  • 23 avril 2016 at 15 h 02 min
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    Je n’ajouterai rien car ton propos est clair, surtout ne pas faire d’amalgames et préserver la liberté d’information

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  • 23 avril 2016 at 16 h 47 min
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    Quand les photos serviront au RG pour incriminer des personnes auras tu toujours le même discours. Il me semble que le droit à l’image n’est pas contre le droit à l’information. Chacun a le droit de refuser une photographie.

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    • 23 avril 2016 at 18 h 31 min
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      Si les personnes sont incriminées pour avoir manifesté, alors je n’appelle plus la France une démocratie. ET la défense du droit d’informer, de manifester, de s’exprimer… doit converger. Si on commencer à préciser, je n’appelle plus ça de la liberté. Je le répète la liberté d’expression et d’information n’est pas négociable.

      En outre, il y a une hypocrisie terrible autour de la photographie. Quand une photo peut servir l’idéologie d’un mouvement (je pense à la photo de Jan Smith-Whitley d’un CRS qui donne un coup de pied à une jeune femme et est devenu le symbole de la répression policière ces derniers jours) alors elle est confisquée au photographe (on en oublie l’auteur) et est largement partagée.
      En revanche, quand une photo dessert un mouvement alors là le photographe devient l’ennemi à abattre, le rapace qui sert la cause des dominant. On en revient à une attitude très manichéenne vis à vis des médias.

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  • 23 avril 2016 at 21 h 58 min
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    « espace publique » (public)

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  • 24 avril 2016 at 9 h 53 min
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    Bonjour, j’aimerais simplement réagir en évoquant le reportage de France 2 qui a été grillé. Nous étions juste à côté et avons ainsi écouté le journaliste qui a dit son texte 2 fois. Il se trouve que ce texte reflétait bien à ce moment là, l’élan de Nuit debout, non seulement il était positif mais portait les revendications sans caricature de convergence des luttes et était prompt à donner une belle image de Nuit Debout sur La Place. Donc en voyant des personnes voulant absolument qu’on voit leur pancarte ( pas à un paradoxe près… on rouspète sur les médias mais on veut être vus) dont une qui portait des mots tout à fait décalés du mouvement ( pour être caricaturés on ne pouvait mieux faire !) et puis une personne criant qu’à France 2, ils étaient des vendus au capitalisme, a fait qu’en finalité, ils ont plié, le caméraman précisant « mais c’est n’importe quoi, moi aussi je suis comme vous, je suis intermittent du spectacle et précaire en sup ».
    Bref 2 millions ou + ??? étaient susceptibles d’écouter le journaliste. Comme son papier était franchement bien fait, cela pouvait être fédérateur… Certes on peut considérer que souvent tel ou tel sujet est mal traité mais en faire une généralité est navrant. Se mettre à dos tous les médias n’est vraiment pas la solution pour booster un tel mouvement.

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  • 24 avril 2016 at 11 h 05 min
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    Dans ce cas est il nécessaire de pouvoir identifier les personnes sur les photos? est ce que l’information est moins valide parce que le visage de la personne est flouté? C’est mal connaitre la police française que de penser qu’il n’incriline pas les manifestants. Avez vous deja passé les 4 heures en garde à vue pour vérification d’identité (légal) suite à un acte de militantisme? Oui au droit à l’information, non à l’utilisation du droit à l’image sans accord. Si tu floutes le visage des personnes ça ne me pose aucun problème, tu feras de l’information mais ta photo sera moins joli et ne fera peut être pas le tour du monde….

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    • 25 avril 2016 at 17 h 59 min
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      Tom, pour te répondre, la diffusion de photo est en effet encadrée par le droit : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F32103
      Nous ne pouvons pas publier des photos qui portent atteinte à la présomption d’innocence, à la dignité d’une personne, ou un individu dans un lieu privé sans son autorisation.

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  • 25 avril 2016 at 13 h 59 min
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    « Je pense à la réunion non-mixte (…) qui affichait il y a quelques jours « pas de photo svp » comme en témoigne un cliché d’Alain Keler ». Toute l’absurdité de votre « réflexion » (non signée, évidemment) tient dans cette phrase. Magnifique !

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    • 25 avril 2016 at 18 h 04 min
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      Pouvez-vous préciser Anne ?
      Je témoigne ici d’atteintes au droit à informer et de tentatives d’empêcher les photographes et journalistes de faire leur boulot. Et je pense que n’importe quelle tentative (fructueuse ou non) de brider la presse est intolérable, voire même dangereuse.

      Sincérement.

      Sophie Eustache

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      • 25 avril 2016 at 20 h 52 min
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        La preuve par l’absurde : le « cliché prouve », donc il a pu prendre la photo !

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  • 25 avril 2016 at 21 h 11 min
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    Oui, et encore heureux que photographes et journalistes tentent (et parfois réussissent) d’enfreindre les règles que certains veulent leur imposer !

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