Témoignage : un dimanche à la commission sérénité de la Nuit Debout

Camille Moulin (nom d’emprunt) est membre de la commission Accueil et Sérénité. Nous publions ici la seconde partie de son témoignage sur la vie de la Nuit Debout place de la République (retrouvez la première partie ici).

Suivez son récit de la journée du dimanche 18 avril (#47mars).

Un petit arrêt à la cantine pour prendre des forces, et j’arrive à 19 heures 30 devant l’infirmerie, qui sert de PC (point de coordination) aux volontaires de la Sérénité. Ils sont une dizaine chaque soir à garantir une ambiance bon enfant sur la place, de 18 heures à minuit. Brassard blanc autour du bras, un talkie-walkie par équipe, ils se postent à des coins stratégiques, ou parcourent la foule pour effrayer les pickpockets, repousser les vendeurs de bière à la sauvette, s’occuper des personnes ivres ou encore, même si ça reste plus rare, séparer les bagarres.

Les instructions sont simples :

« on n’est pas là pour taper, mais pour faire de la médiation. Les seuls moments où il y a contact physique, c’est pour séparer les mecs qui se tapent dessus. L’objectif, c’est que les gens soient en sécurité sur la place. On ne reste jamais seul, grand minimum à deux. On ne coupe pas la parole de celui qui parle, on se tient juste à côté de lui. Ça va bien se passer ».

Sous le ciel de Paris
Sous le ciel de Paris

Je suis présentée à une des trois équipes de ce soir ; deux filles déjà présentes m’offrent un large sourire : « ah ! Une autre fille ! C’est génial, on en avait marre des mecs bourrus aux gros bras ».

Dès le départ, les équipes devaient être paritaires, mais les volontaires féminines sont moins nombreuses. Un rapide tour des prénoms, quelques poignées de main, et je m’en vais fendre la foule avec eux.

Une, deux, trois rondes autour de l’AG qui se termine, alors que sur l’estrade on commence à installer un grand écran qui permettra de projeter le film « Demain », de Cyril Dion et Mélanie Laurent. Le talkie grésille :<

– Coordo pour volante, coordo pour volante.
– Ici volante, coordo j’écoute.
– Les deux pickpockets de cette aprèm’ sont revenus.

On change de tactique. Derrière l’écran l’équipe se scinde en deux, et remonte la foule en direction de la statue, pour se retrouver devant la bouche de métro. Devant, une fille brune et un garçon en survêtement bleu s’éloignent rapidement. Ils ne doivent pas avoir plus de 15 ans. L’équipe s’arrête près de la bouche de métro principale sur la place :

– Tiens regarde, il essaie de lui filer un truc, mais elle ne veut pas le prendre, elle doit avoir peur qu’on soit des flics.
– Ils partent, de toute façon ils sont repérés, ils reviendront plus tard ou demain.

Stand merguez
Stand merguez

On refait les équipes : certains restent près de l’estrade, d’autres sont chargés de parcourir la foule pour effrayer les tire-laines ou escorter les vendeurs à la sauvette hors du village. Les derniers se postent entre la sortie du métro et la statue pour garder la « ligne », celle que les vendeurs ne peuvent pas dépasser. La vente d’alcool a été interdite par l’AG dès les premiers jours, mais les vendeurs de merguez et de bière ont afflué ; et tous les jours, il faut leur demander de reculer leurs stands en dehors de la place.

« Moi ce qui m’effrayait, c’était les énormes marmites d’huile bouillante. Y a de la foule, du mouvement, des enfants parfois, des gars bourrés qui titubent. Je leur ai dit une fois, ils ont fait « oui, oui » mais le lendemain c’était pareil. Alors on les a fait s’installer sur les trottoirs extérieurs de la place, mais là je crois que c’est les flics qui refusent qu’ils s’y installent, alors ils partent. »

On discute des contacts qui existent avec la police : « forcément, au bout de deux semaines on reconnait les visages qui stationnent régulièrement près de la place, et eux aussi ils nous repèrent. Puis, si ça dégénère de trop, s’il faut embarquer un gars en cellule de dégrisement, c’est à eux de prendre la main. On n’est pas équipés ou formés pour ça ».

On parle ensuite des manifestations improvisées, des apéros chez Valls.

« Je suis syndicaliste, et quand j’étais plus jeune j’en ai fait des actions violentes ! Je les comprends, ceux que les médias appellent les « casseurs ». Ils n’ont plus d’espoir dans la parole, dans l’échange ; ils veulent que les choses changent et vite ; ou alors ils cherchent vraiment à aller taper du flic, par désœuvrement, ou par envie de créer de la confusion. Majoritairement, je crois que ce n’est pas de la haine ; c’est beaucoup, beaucoup de colère, et ce n’est pas du tout représentatif de ce qui se passe place de la République. Il y a un peu de colère ici, c’est vrai, mais aussi beaucoup de fraternité et d’espoir. Les gens se font confiance, échangent sur tout un tas de sujets. »

Après la manif, on rentre pas chez nous

22 heures. Il doit faire dix degrés, la position stationnaire est inconfortable, alors on marche le long de cette frontière imaginaire sur laquelle s’alignent les caddies et les caisses pleines de canettes.

« C’est bien qu’ils soient passés aux canettes, qu’ils aient arrêté de vendre des bouteilles. Ils savent que le plus longtemps on reste ici, le plus longtemps les flics les toléreront. T’en as toujours qui se glissent dans la foule, puis t’as les jeunes qui ramènent leurs packs le vendredi ou le samedi, et puis les deux poubelles que la Mairie nous confie, elles sont pleines à 20 heures… Mais c’est mieux les canettes. »

On discute, entre volontaires mais aussi avec les vendeurs qui s’approchent pour participer aux échanges.

– Monsieur, vous ne nous laissez pas faire notre travail !
– Mais, si ! Moi je vous laisse travailler, c’est juste que je ne peux pas vous laisser vendre des bières dans la foule.
– C’est comme la police !
– Non, la police, elle, ne vous laisserait pas rester sur la place.
Monsieur, qu’est-ce que c’est ici ? On a essayé de m’expliquer mais j’ai pas compris…
– Ici, c’est un endroit où les gens se rassemblent pour discuter, créer quelque chose de nouveau, de mieux.
– Et de quoi on discute, monsieur ?
– Du droit au logement, du droit à l’éducation pour tous, du droit de pouvoir se nourrir convenablement…
– Moi, monsieur, je suis roumain, et en Roumanie je gagne 150 euros par mois. J’ai deux enfants, j’ai une famille, je ne peux pas vivre avec 150 euros par mois. Alors je viens en France, et je peux venir en France, j’ai le droit, parce que c’est l’Union européenne. J’ai des papiers, je veux travailler, même pour 700 euros, 600 euros par mois, au black s’il le faut, ça sera toujours mieux que la Roumanie. Mais je ne trouve pas de travail, alors je suis dans la rue, et de temps en temps on me propose l’hôtel pour deux jours, mais c’est loin, et pour l’école, comment ils font mes enfants ? J’ai deux enfants, et je ne peux pas les envoyer à l’école, et je ne peux pas retourner en Roumanie. Je suis obligé de vendre de la bière, monsieur.
– Je comprends, mais je ne peux pas te laisser vendre de la bière dans la foule. Tu sais, si les gens ont envie d’une bière, ils viendront vous trouver, ils sauront vite où vous êtes. Mais ce soir il fait froid, ce qu’il faudrait c’est du thé ou du café. »

Éclats de rire. « Oui oui, on va faire ça ! »

Affiche "Demain"

En fond, la voix de Cyril Dion résonne sur la place, et explique que le système éducatif finlandais est l’un des meilleurs du monde. Que dans certaines écoles, 50% des enfants sont étrangers, apprennent le Finlandais et l’Anglais, s’intègrent à la société. Que les jeunes Finlandais n’apprennent pas que l’Anglais ou les mathématiques, mais aussi la couture, la maroquinerie, le travail du bois. Qu’aujourd’hui, des alternatives pour demain existent… Gouffre, gouffre immense, entre cette réalité et celle à laquelle je viens d’être confrontée.

Il est minuit vingt. Deux ou trois cents personnes ont bravé le vent froid et sont toujours installées devant l’écran, pendant que les volontaires s’activent et replient les dernières bâches, quand d’autres rassemblent les sacs poubelles. Les membres des équipes de la Sérénité se regroupent devant ce qui était l’infirmerie, rangent leur brassard, les talkies. On partage une tablette de chocolat. « C’était calme, ce soir, hein ! »

Il y a une certaine lassitude dans le regard, une lenteur dans les gestes, comme dans ceux des apnéistes qui remontent à la surface. Une fatigue, évidente.

Un espoir brûlant. Celui que l’énergie déployée ici, dans ce bazar protéiforme qu’est Nuit Debout Paris, aboutisse à un monde un peu plus serein, un peu plus humain.

Camille Moulin commission accueil et sérénité.

Merci à Florian et Julien Marran pour les photos.

Crédits photos:

  • Sous le ciel de Paris: Julien Marrant
  • Stand merguez: Florian
  • ND Lille 9 avril 2016: Nuit Debout Lille
  • AG République: Gazette Debout

2 réactions sur cet article

  • 23 avril 2016 at 9 h 17 min
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    La voie publique…..et la gentille police. Je ne suis pas sûre que ce soit aux militants de faire ce travail de répression. Il y a dans l’exposé de Camille beaucoup de condescendance vis à vis de ce père qui cherche à gagner sa croûte. Beaucoup de personnes vivent dans les rues parisiennes et ont organisés leur activité pour subvenir à leurs besoins. Cela choque la morale, l’ordre ?

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