Témoignage. Une nuit dans le campement place de la République

Le pôle campement est né jeudi soir, 46 mars. A 19 h, les premières bâches sont debout, et en quelques heures nous avons déjà recueilli un bon nombre de dons (tentes, duvets, couvertures, bâches…).

À 23 h des gens dorment déjà sous les bâches et les tentes. Une bonne ambiance règne et, à la question « vous pensez qu’ils vont nous laisser dormir jusqu’à quand ? »,  les réponses sont mitigées, entre « ils ne viendront jamais » et, pour les plus réalistes, « vers 5 h, comme d’hab’ ».

0 h 30- 1 h. Étant situés sur le côté sud de la place et entourés par une foule incroyable, nous restons relativement coupés de l’ambiance qui s’enflamme côté nord. Les copains de la tente des Beaux-Arts (côté nord) ont commencé à construire en dur pendant l’après-midi, et, à cette heure-ci, ce n’est plus un stand mais une véritable forteresse qui se dresse devant mes yeux.

Ils sont en plein travail et ils comptent bien se défendre jusqu’au bout. Le premier feu de joie (d’une longue série) est lancé à deux pas des Beaux-Arts (BA). Palettes, cartons, bouteilles en verre remplies d’alcool (?), tout y passe, le feu prend de l’ampleur et on commence à se demander à quelle heure les CRS vont intervenir. A ce moment-là, la place est encore noire de monde.

1 h 30 – 2 h. Ils coupent l’électricité sur la place (côté nord seulement). Les derniers métros sont passés.

De 2 h à 5 h. Les bombes lacrymogènes pleuvent en réponse aux projectiles lancés par différents groupes répartis sur la place. Ça pleut, ça pleut, ça pleut. La place de la République est maintenant blanche de fumée.

Le Pôle Campement, qui est maintenant le dernier de la place avec celui des BA, abritent les derniers Nuitdeboutiens du 46 mars. Notre installation nous protège quand même pas mal du gaz.

Campement République 46mars

Un peu avant 5 h, une odeur d’apocalypse se fait sentir. On constate les dégâts… Des gens nous arrivent blessés, principalement aux mains et au visage, souvent désorientés. Plusieurs de nos couettes et installations ont été endommagées et ont pris feu pendant les tirs.

Je m’occupe d’un jeune homme blessé aux deux mains. Il est sonné. N’ayant aucun matériel médical, je prend une petite trousse de secours et lui fait deux bandages comme je peux.

5 h 30. Vous connaissez cet horaire ? Nous aussi. Je commence à m’endormir entre deux camarades, les gens parlent mais l’heure est au repos… Enfin pour 30 minutes pas plus. « Ils sont là ! » À gauche, deux CRS sous notre campement, les autres derrière : « ALLEZ LEVEZ-VOUS PUTAIN, ON SE BOUGE, ET DEBOUT, ET VITE ! »

Un premier CRS donne des coups de pied à un homme allongé par terre ; aucune réponse, alors il le chope par le duvet et le traîne par terre. Je me dis que ça ne va pas forcément se passer dans le calme. Nous essayons de parler avec eux, de leur expliquer qu’il faut qu’on récupère nos bâches si nous voulons revenir demain. La tension diminue et ils nous laissent (un peu) de temps pour replier. Après nous avoir évacués, ils avancent vers la tente des BA, un plus gros morceau. Nous les talonnons. Très vite ils s’attaquent à la forteresse, les gens hurlent, les slogans fusent.

Campement République 46mars

Il est 6 h 30, le jour commence à poindre et les CRS à pointer leur nez à l’intérieur de l’installation. Ils nous repoussent, nous poussent. Et, tout à coup, ils détruisent tout. Les slogans repartent de plus belle. La fatigue et la tension n’aidant en rien, les esprits s’échauffent, plusieurs d’entre nous se font gazer mais nous restons debout autour de la tente. Ils nous braquent avec des maglites pour nous empêcher de filmer, mais trop de monde filme, ils sont dépassés. Ils finissent par nous encercler et nous pousser hors de la place. Je sens les boucliers dans mon dos, ils nous poussent, ils nous poussent. Vers où ? Ils ne savent pas, mais nous, on le sait, ON RETOURNE SUR LA PLACE. Hop, on prend la transversale et c’est reparti, on rejoint les éboueurs.

Il est midi au moment où je vous écris, il est temps de réinstaller !

Nota : pendant notre évacuation de la place, nous entamons la discussion avec le CRS qui est devant nous. Son visage est doux et il paraît gentil. Nous lui faisons remarquer qu’il n’a pas sa place ici et on peut lire son malaise sur son visage. Il nous sourit, un sourire à faire se soulever la place. On l’invite à venir avec nous, à enlever son casque. Il jette un coup d’œil à son collègue qui lui lance un agressif : « FAIS-LES RECULER, PUTAIN ! » Il revient à lui, son sourire disparait face à son collègue et laisse place à une infinie tristesse et, sûrement (?), un gros sentiment de honte.

 Une future démission ? Une prise de conscience ? J’espère.

 JACK. Photo Philippe Huguen

PS :  matériel médical basique (compresses, désinfectant, bandes…), tout est bienvenu au pôle Campement pour les fins de nuit.

Crédits photos:

  • Campement (1): Philippe Huguen
  • Campement (2): Philippe Huguen
  • ND Lille 9 avril 2016: Nuit Debout Lille

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