Place de la République : l’occupation est-elle légale ?

« Avons-nous le droit de passer nos soirées (et parfois nos nuits) place de la République ? » est l’une des questions récurrentes des participants à Nuit Debout. Eléments de réponse avec Matteo, élève avocat, membre de la commission Juridique de Nuit Debout.

Gazette Debout : L’occupation de la place de la République est-elle légale ?

Matteo : En France, le régime des libertés publiques est fortement teinté de l’esprit libéral qui animait les révolutionnaires en 1789. Les articles 4 et 5 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen l’illustrent à merveille : « Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. Toutefois, l’exercice de certaines libertés et notamment celle de manifester est parfois encadré par l’administration pour des motifs d’ordre public. »

Gazette Debout : Que faut-il faire pour organiser une manifestation place de la République ?

Matteo : Il existe deux régimes administratifs distincts. Le premier et le plus contraignant, c’est le régime dit d’« autorisation préalable ». Il suppose d’obtenir préalablement à l’événement l’autorisation de l’Administration. C’est le cas, par exemple, pour l’organisation d’un concert. Le second est le régime dit de « déclaration préalable ». Il suppose simplement d’avertir l’Administration préalablement à l’événement. C’est le cas, en ce qui nous intéresse, pour la liberté de manifester ou, plus exactement, la liberté de nous rassembler.

Gazette Debout : Concrètement, comment s’y prend-on ?

Matteo : Pour nous rassembler place de la République, il suffit qu’une déclaration soit faite à la préfecture de police de Paris, trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus, avant la date de l’événement. La déclaration comporte des informations sur les organisateurs et doit être signée par trois d’entre eux. Elle indique également le but, le lieu, la date et l’heure du rassemblement et, éventuellement, l’itinéraire projeté.

Gazette Debout : L’autorisation peut-elle être refusée ?

Matteo : Rien n’empêche le préfet d’interdire le rassemblement s’il estime que celui-ci est de nature à nuire au bon ordre, à la sûreté, la sécurité ou la salubrité publique. Il faut alors aller contester la décision devant le juge administratif.

Gazette Debout : Quelles seraient les raisons pour lesquelles la Préfecture pourrait interdire le rassemblement ?

Matteo :De graves incidents pourraient lui donner un motif pour interdire le rassemblement. Mais nous ne devons pas être niais, il le pourrait aussi pour des motifs politiques sur demande expresse du Gouvernement ou du Président en ce sens.

Gazette Debout : Qu’en est-il pour Nuit Debout ?

Matteo : Pour l’heure, le préfet n’a pas pris un tel arrêté, donc il ne nous est pas interdit de nous réunir place de la République !

Gazette Debout : Est-ce que les forces de l’ordre ont le droit de confisquer la sono ou de s’en prendre au camion de ravitaillement ?

Matteo : Sauf infraction pénale ou nécessité de préserver l’ordre public, je ne crois pas que les forces de l’ordre le puissent. Peut-être même que la confiscation de la sono pourrait être vue comme une voie de fait ouvrant droit à réparation. Mais sur ce point je n’en suis pas tout à fait sûr…

Gazette Debout : Que change l’état d’urgence ?

Matteo : Normalement ? Rien ! L’état d’urgence n’évoque pas explicitement les manifestations. L’article 8 de la loi de 1955 sur l’état d’urgence évoque la possibilité pour le préfet d’interdire sur le département des réunions de nature à provoquer ou entretenir le désordre et je crois pas que cela soit notre cas. Tout au plus bousculons-nous une vie politique française sclérosée mais c’est là un autre débat… Pour dire vrai, l’interdiction de réunion prévue par l’état d’urgence est comprise par le gouvernement comme pouvant s’appliquer également aux manifestations. En toute hypothèse, le préfet peut interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans des lieux et une période de temps qu’il définit librement. Cela revient donc globalement au même.

Gazette Debout : Peut-on dire que l’état d’urgence bouleverse nos droits ?

Matteo : Oh que oui ! Non seulement on peut le dire mais on doit le crier partout ! L’hypothèse selon laquelle la seule réponse au terrorisme se trouverait dans un régime d’exception et dans le seul renforcement d’un dispositif sécuritaire déjà extrêmement complet et complexe est radicalement fausse. De plus, l’état d’urgence est déjà une réalité pour nombre de personnes, assignés à résidence, personnes interdites d’entrer en contact, personnes ayant vu leur porte défoncée un beau matin… Ceux-là, dans certains cas, ont vu leurs droits les plus élémentaires bafoués sans que cela ne fasse avancer d’un iota la lutte contre le terrorisme. La Commission Nationale Consultatives des Droits de l’Homme (CNCDH), le Médiateur de la République, un nombre ahurissant d’associations, de clubs, de personnalités mais aussi et surtout de citoyens ordinaires ont d’ores et déjà fait part de leurs réserves, pour les plus modérés, et de leur exaspération devant un Etat de plus en plus policier pour les moins modérés.

Gazette Debout : Comment peut-on aider la commission Juridique ?

Matteo : Si d’autres avocats, élèves-avocats, juristes ou tout simplement citoyens intéressés par ces questions veulent en discuter, je les invite à nous rejoindre sur la place de la République au niveau de la banderole « consultations juridiques ». Il y a même un hashtag #AvocatsDebout pour suivre ces questions sur Twitter et un collectif Avocats debout pour en débattre.

Gazette Debout : Vous offrez une assistance juridique ?

Matteo : Nous essayons de répondre au plus grand nombre de questions possibles et d’apporter un soutien juridique à ceux qui en ont besoin. Mais nous sommes aussi là pour réfléchir et agir dans le domaine du droit. Il ne faut pas oublier que le Droit est un combat citoyen !

Gazette Debout : Conclusion, les participants à Nuit Debout ont le droit de se réunir… jusqu’à nouvel ordre ?

Matteo : Le droit et… le devoir ! Restons debout, ne plions pas l’échine, ne tombons pas à genoux ! Je ne sais pas trop vers où nous allons ni comment nous procéderons mais nous avons le mérite d’essayer et je crois que c’est le plus important.

Gazette Debout.

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  • Consultations juridiques: Gazette Debout

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